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AU COMTE DE MANTEUFFEL.

Berlin, 11 mars 1736.



Mon cher Quinze-Vingt,a

Comme je pars demain pour m'en retourner à Ruppin, et que, par ce voyage, je m'éloigne plus de vous que je ne le suis à présent, je le considère comme un redoublement d'absence; c'est pourquoi je prends congé de vous avant que de partir, espérant que vous aurez bien reçu ma dernière, et que votre voyage finira au plus tôt.

Mon cher Quinze-Vingt, je me crois obligé de vous rendre compte de la manière dont j'ai passé mon temps pendant que j'ai été ici. Premièrement, j'ai fait beaucoup de riens, qui ne méritent aucune attention; ensuite, j'ai fait d'autres choses qui ne sont pas de beaucoup plus de valeur, comme de me faire peindre, de me promener, de boire, manger, etc. Mais ce que j'ai fait de meilleur, c'est d'avoir achevé un tome de Rollin, d'avoir mis le nez dans les ouvrages de Wolff, et d'avoir entendu prêcher M. de Beausobre. Je sors de son sermon, et la fraîche idée que j'en ai m'en fera rapporter les points principaux, comme méritant de parvenir jusqu'à vous.

Le but de son sermon était de dévoiler les causes qui avaient empêché les pharisiens et les saducéens d'adhérer à la mission de Notre-Seigneur. De là il prend occasion d'en déduire les raisons, savoir : la prévention orgueilleuse des pharisiens, leur avarice, jointe à l'esprit de gouvernement, et, en troisième lieu, le déréglement de leurs mœurs. Ensuite il fait un exposé de la doctrine des saducéens, ce qui


a Le comte de Manteuffel s'était donné ce surnom, pour marquer qu'il ne prétendait pas instruire ni éclairer le prince, n'étant lui-même qu'un aveugle.