<383>A cela près que mon éloignement de V. A. R. me rend presque continuellement triste, et ne me laisse goûter et savourer parfaitement aucun plaisir, j'ai assez sujet d'être ici content de mon sort, y jouissant de tous les agréments que ce climat peut offrir. Cependant les sociétés manquent beaucoup ici, non tant faute d'hommes que faute de sociabilité. Il n'est pas aisé de déterminer s'il faut chercher la cause de celte insociabilité uniquement dans le caractère et dans les mœurs encore rudes et grossières de la nation, ou si la nature du gouvernement y contribue en quelque chose. Je suis tenté de croire que ce dernier y entre pour beaucoup.
Après tout, il faut toujours que j'en revienne à la réflexion de V. A. R. : c'est qu'il n'y a point de parfait bonheur dans ce monde. Aussi n'est-ce pas même sans quelque mélange de tristesse que je goûte, à la fin de chaque lettre, le plaisir de vous témoigner, monseigneur, à une si grande distance, la tendre vénération et le respectueux attachement avec lequel je ne cesserai jamais d'être, etc.
64. DU MÊME.
Pétersbourg, 1er mars 1738.
Monseigneur
Il faut avoir autant de confiance que j'en ai dans les bontés dont V. A. R. m'honore, pour oser me présenter par écrit à ses yeux, après avoir gardé, en apparence, un si long silence, et après ce qui vient de m'arriver. Un frère que j'ai en Saxe vient de me renvoyer une lettre que par méprise je lui avais adressée, en voulant l'adresser à V. A. R. Cela ne pouvait au reste m'arriver qu'avec lui, en qui j'ai toute ma confiance; car, si j'ai pu oublier un moment ce que la pru-