<87>

33. AU MÊME.

Ruppin, 4 mars 1733.



Mon très-cher ami,

Je vous rends mille grâces des nouvelles que vous m'avez bien voulu communiquer, et pour vous rendre la pareille, je vous envoie ci-joint une lettre d'un anonyme où je ne comprends rien, et dont je ne ferai aucun usage. M. le Grand est arrivé ici très-mal satisfait de Sa Majesté, qui, à ce qu'il dit, a fort grondé contre Rohwedell, lui ayant dit qu'il s'habillait à la française, und er stecke mit mir unter einer Decke, und so lange er lebte, wäre er Herr, et qu'il l'enverrait à Spandow. Ce compliment a fort déplu à notre homme, qui est revenu ici souple, obligeant, poli et civil que c'est étonnant. Nous nous sommes divertis ici une couple de fois à nous masquer, et je crois que c'est cela qui a déplu au Roi, avec des contes que l'on fait sur le sujet de Rohwedell. A dire la vérité, je ne suis pas tout à fait au fait de ces affaires, et je ne comprends pas par quelle raison le Roi commence à gronder tout d'un coup, et pas tant sur moi que sur ces deux messieurs et leur air de petit-maître. Il a dit à la Reine qu'il se serait volontiers dispensé d'aller à Brunswic, mais qu'il ne s'était pas pu fier à ma conduite, dass ich ihm nicht wieder einen Streich gemacht hätte. Tout cela me fait croire que quelque bon ami m'ait joué quelque tour, ou plutôt à ces messieurs. Au bout du compte, j'ai la conscience fort nette de ce qui regarde le Roi, et si devant Dieu j'étais aussi frais de mes péchés, je crois que j'y serais transporté vivant. Adieu, mon très-cher ami; je trouve tous les jours davantage que le monde est une drôle de chose, et que la grâce des grands est la chose du monde la plus variable. Un faux rapport, un rien, sont capables de détruire tous les services et toute l'application que l'on prend à s'insinuer auprès d'eux. Je chéris ma retraite, et je bénis le sort qui m'éloigne de la goutte, du monde de Berlin, et de toute cette clique dont la fausseté est la mère et dont