17. AU MÊME.
Ruppin, 25 septembre 1732.
Je crois que c'est pour me faire encore plus regretter votre compagnie que vous me faites l'agréable description de la vie champêtre que vous menez à Rühstädt. Vous convenez avec moi qu'on jouit à la campagne d'un repos que l'on ignore à la cour. C'est ce qui me fait trouver tant de charmes à ma solitude, et ce qui me fait goûter le genre de vie des petites villes, où les soins et les inquiétudes sont bannies de l'esprit. Vous ne craignez jamais de venir trop tard; étant le maître, vous êtes au-dessus des compliments qui obligent souvent, par bienséance, de proférer des paroles que le cœur désavoue. Vous réglez les heures du jour selon qu'il vous plaît, vous ne voyez que ceux que vous voulez, et ce nombre de faux amis, inévitables aux cours, n'interrompt pas votre tranquillité, et vous laissez à Dieu et à notre monarque le soin de gouverner la machine de l'État. Déchargé du fardeau que donnent les soins des affaires, le sommeil vous devient paisible; des rêves fortunés vous font passer la nuit agréablement; le sommeil semant de ses pavots sur vos yeux, ils ne se rouvrent qu'après que le valet de chambre, à force de secousses, vous les fait rouvrir, et alors vous projetez de quel divertissement vous voulez jouir ce jour-là. Étant au-dessus de l'indigence, les soins du lendemain ne vous incommodent pas, et un repas frugal, accom<68>pagné de bon vin, vous attend toujours prêt, jusqu'à ce que l'appétit dicte l'heure où il doit être servi; alors, affamé par la saine et légère émotion qui avait précédé, tous les mets à la table semblent exquis, et meilleurs que si Stats les avait faits. La compagnie, quoique peu choisie, ne manque pas d'avoir ses agréments; la diversité d'humeur des conviés fournit une ample matière à philosopher. Les fades plaisanteries de l'un, le sot orgueil de l'autre, l'ignorant qui contrefait l'homme d'étude et de savoir, le hableur et tous ces gens, par le manque de savoir-vivre, découvrent leurs caractères infiniment plus que ceux qui, par l'usage de la cour et par une fine dissimulation, savent voiler leurs caractères. Enfin on se fait un plaisir de tout, et telle nymphe villageoise, embaumée d'odeur de gousset d'aisselle, plaira mieux que la comtesse D. . havec tous ses airs précieux. La liberté d'esprit se répandant aussi bientôt dans toutes vos manières, l'on devient plus aisé, et ayant le temps et la liberté de l'employer à ce qu'on juge à propos, l'on peut s'étudier, et en faisant des réflexions et en réfléchissant sur des événements que l'on voit arriver dans le monde, l'on revient bien de l'éblouissement que donne le vain éclat des grandeurs. Plus on est élevé, et plus on est esclave, tant des grands seigneurs que de l'État, des importuns, des affaires, et, plus que de tout, du qu'en dira-t-on.
Peut-être vous moquez-vous bien, monsieur, qu'à mon âge je fasse des réflexions qui paraissent si détachées du monde. Je l'aime néanmoins, et j'avoue que le tempérament vif que la nature m'a donné me porte avec impétuosité vers tous les plaisirs dont la jeunesse est folle; néanmoins, le malheur m'a appris à mitiger ces fougues, et quoique je sois bien loin d'être maître de moi-même, ni d'abjurer le monde comme font les quiétistes, néanmoins j'ai appris à raisonner juste, et j'espère qu'avec le temps je serai en état de suivre les préceptes que la raison me dicte. Vous me ferez, en attendant, toujours un vrai plaisir de me montrer le bon chemin, et vous verrez que je<69> ne serai pas ingrat, me sentant déjà avec une vive reconnaissance et une parfaite estime, etc.
Frederic.
Le proverbe dit qu'aucun Allemand n'écrit sans apostille; je ne démens donc pas non plus ma nation, et ayant oublié de parler de la lettre de R., je vous dirai que je la trouve excellente, d'autant plus que l'expédient est bon.