18. AU MÊME.

29 septembre 1732.



Mon très-cher ami,

Je vous écris pour me délasser des sottes lettres que j'ai été obligé d'écrire, vous comprenez bien où, et j'ai été fort surpris que mes compliments fassent plus d'effet sur les esprits que les autres, car pour un compliment que la civilité m'obligeait de faire, vous allez voir par l'incluse quelle foi l'on y ajoute. Je crois que c'est pour me faire accroire que je suis éloquent; j'avoue que ce n'était pas tout à fait mon dessein de l'être dans cette occasion; mais comme l'on se flatte volontiers de ce que l'on souhaite, M. le duc me fait des remercîments comme si j'étais l'homme du monde le plus épris des charmes de sa fille, il me fait son panégyrique pour ajouter à la haute estime que j'ai déjà d'elle, et il me fait les honneurs de son cœur, comme d'un cabaret. Tout ce que je viens de dire a fait tant d'effet sur moi, que, lui souhaitant le suprême bonheur, je fais des vœux du ibnd de mon cœur que l'empereur de Maroc devienne amoureux par réputation des beautés de cette princesse, et qu'il l'enlève et l'épouse. Impératrice de Maroc vaut de deux degrés une princesse royale de Prusse.<70> Voyez après cela si je ne suis pas chrétien, et si je ne souhaite pas tout le bien à des personnes qui me causent tous mes chagrins. J'avoue que je suis moi-même surpris de cet effort de générosité, et que je ne puis comprendre comme l'on peut être si bon.

A propos, monsieur, j'ai eu hier des huîtres fraîches, des buttes, des chapons gras, et j'ai fait un repas de Hambourg. J'ai pensé plus de vingt fois à vous, et j'avoue que j'ai eu une démangeaison extrême de vous avoir de la partie. Or, ceci ne sont point des compliments, et je vous dirai la clef à quoi vous pouvez connaître quand c'est vrai ou compliment : quand c'est vrai, alors ce que je dis paraît naturel, et est écrit sans contrainte; mais quand c'est cérémonie, alors je fais un grand galimatias de phébus et de compliments, selon les modèles ordinaires. Je sais que vous êtes un peu soupçonneux; c'est pourquoi je vous préviens, et je vous prie de croire que, quand je vous dis que je vous aime de tout mon cœur, que c'est bien sincèrement, avec bien de l'estime, étant votre parfait, constant et fidèle ami et serviteur,

Frederic.