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23. AU MÊME.

Ruppin, 23 octobre 1732.

Dans ce moment je viens de recevoir la vôtre, du 22, dont je vous suis sensiblement obligé. Je ne manquerai pas de remédier à tous les griefs du chapitre de Brandebourg, et j'espère que vous aurez lieu d'être satisfait. Les vers sont assez jolis, mais je suis fort pour le dernier, qui vaut tous les autres. Pour ce qui regarde le discours du Roi avec Nossig, je vous avoue que cela me fait beaucoup de peine. Je crois que vous recevrez une lettre de moi, monsieur, que j'ai écrite aujourd'hui, et qui rouie sur ce sujet, ayant été averti de ce que l'on m'avait rendu de mauvais offices. Dieu sait que je suis si retiré à présent que l'on peut être; je m'applique aux affaires du régiment, beaucoup d'exercices; ensuite les commissions économiques que le Roi m'a données m'occupent; après, le temps du manger, après, la parole; ensuite, si je ne vais pas voir quelque village, je me divertis à lire ou à la musique. Vers les sept heures, je vais dans la compagnie des officiers, qui s'assemblent, ou auprès des capitaines, ou auprès de Buddenbrock, ou auprès des autres; je joue avec eux. A huit heures je mange, à neuf heures je me retire, et voilà comme se passe régulièrement un jour comme l'autre, hormis quand la poste de Hambourg vient; alors j'ai une compagnie de trois ou quatre personnes dans ma chambre, et nous soupons seuls, parce que ma dépense ne s'étend pas à rassasier dix personnes de denrées si chères. Tout le divertissement que j'ai est de me promener sur l'eau, ou bien de jeter quelques fusées dans un jardin qui est devant la ville. Voilà tout au monde qui se fait, et je ne vois pas comme, dans un endroit sédentaire comme celui-ci, l'on peut passer son temps autrement. Je souhaiterais pourtant de tout mon cœur de pouvoir détromper le Roi sur tout cela. Selon moi, il n'y a rien de si innocent que cela, et je ne vois pas comment je pourrais être plus retiré. Entre nous soit dit,<76> l'on a mis en tête à la Reine que j'étais débauché à tout excès, et il paraît qu'elle le croit. Je ne sais d'où vient que tout le monde parle tant de moi sur cela, car, à dire vrai, on a de la chair, et je ne nie point que quelquefois elle soit faible; mais, pour quelque petit péché, l'on est réputé pour le plus grand débauché de la terre. Je ne connais personne qui n'en fasse autant, et il y en a tant qui font pis, que je ne sais d'où cela vient que personne ne parle d'eux. J'avoue que cela me chagrine beaucoup, et que, si je pouvais, je serais bien fâché contre les pendards qui vont semer de telles nouvelles, quoique pourtant tout se passe sous main.

Vous voyez, mon cher ami, que je suis fort sincère, car je vous dis tout comme je le pense et comme cela est, sans vous divulguer rien. Je sais que vous avez compassion de mes faiblesses, et que vous savez bien, ou du moins que vous espérez que le temps me rendra sage. Je fais tout mon possible pour le devenir, mais je ne crois pas que Caton fût Caton comme il était jeune. Conservez-moi, en attendant, je vous en prie instamment, mon très-cher et généreux ami, votre précieuse amitié et votre assistance. Continuez à me tirer de mes peines comme vous avez commencé si dignement, et comptez sur toute l'estime et la reconnaissance qu'un honnête homme vous doit, l'ayant tiré de tant de difficultés. Je suis, etc.

Frederic.

Je vous supplie de vous informer si l'on continue à parler encore de cette façon sur mon chapitre, ou si enfin tous ces maudits bruits se sont éteints, et si le Roi est remis et mieux persuadé de moi. Sono tutto à toi.
P. S. Ce qui me donne un peu bon courage, c'est que je viens de recevoir des perdrix du Roi. J'espère qu'il n'ajoutera pas foi à tous les discours que l'on répand sur moi.