29. AU MÊME.



Monseigneur mon très-cher ami,

Je suis fort étonné que vous n'ayez pas encore reçu la dernière que j'ai eu la satisfaction de vous écrire. J'espère pourtant qu'il ne lui sera pas arrivé de désastre. Pour ce qui regarde le Roi, je me sens la conscience fort nette envers lui, et Dieu est mon témoin que je n'ai d'autre but dans le monde que de lui plaire et de me divertir. Ma pauvre sœur me fait toute la peine du monde, et j'avoue que je voudrais partager la chemise avec elle. Pour le Margrave, il a pourtant un bon cœur, et il est estimable par rapport à l'amitié qu'il a pour ma sœur. Ces deux pauvres malheureux courent le pays sans avoir<82> ni feu ni lieu, et pour se réfugier contre les chagrins du père, ils vont se consoler chez l'âme noire du beau-père; et j'avoue que je ne conçois pas comme il est possible de refuser l'assistance possible à de pauvres infortunés qui sont innocents de leur malheur, et quand on a de quoi les enrichir sans que cela fasse la moindre peine. Mais à quoi servent toutes les belles réflexions qui n'aboutissent à rien? Néanmoins je n'oublierai jamais mon devoir envers ma sœur, et étant en partie la malheureuse source de son infortune, je la partagerai volontiers avec elle. Enfin, mon très-cher ami, vous ne saunez croire dans quelle tristesse je suis quand je pense à ces choses-là; tantôt je m'en reproche la faute, tantôt je plains ma sœur, et de quel côté je me tourne, je ne trouve pas le remède au mal.

Mais passons de ces tristes réflexions à des choses plus agréables. Je bois ici tous les jours à votre santé, et je quitte à peine mon petit coin, où un bon feu m'échauffe et où une belle pelisse me couvre; et je ne montre mon nez que quand la parade monte, ce qui ne se fait qu'à onze heures, afin que monsieur use le temps de dormir la grasse matinée; et je crois que l'on fait bien de se rendre la vie douce tandis qu'on le peut. J'ai toujours regardé le baron d'Or comme un fripon, et j'étais fort aise que le Roi soit détrompé sur son sujet. Adieu, mon très-cher ami; je suis à vous, comme le pape au diable, avec toute l'estime imaginable, etc.

Frederic.