38. AU MÊME.
(Décembre 1739.)
Mon cher Camas,
Nous sommes ici des amphibies de joie et de tristesse; on fait des fêtes d'un côté pour divertir ma sœur,183-a et l'on plaint le Roi, de l'autre, pour l'état incertain et défaillant de sa santé. Vous pouvez, mon cher ami, vous représenter à peu près la situation dans laquelle nous sommes; cependant elle est de cent piques préférable à celle de l'année passée, qui était désespérée. Je ne pourrai guère vous mander des nouvelles d'ici, sinon que l'ancienne étiquette s'observe régulièrement, qu'il a fait ici un froid épouvantable, qu'on danse beaucoup, qu'on médit encore davantage, et que l'on rit et pleure tour à tour.<184> Nous avons ici deux nouveaux envoyés, Rudenskjöld184-a et Valori.184-b Le premier est un homme d'esprit, fin, et qui a beaucoup de connaissances et du inonde. Le second est un sot, très-grossier, et si fort absorbé par le grivois, que l'homme de qualité s'y perd totalement; c'est le Weyher184-c des Français, en un mot, un homme qui ne prendra point à Berlin, à en juger par le ton où il se monte.
Je vous suis infiniment obligé des pommes que vous m'envoyez; quoique je n'en mange jamais, je n'en ai pas moins d'obligation à celui dont elles viennent. Je vous ai bien plaint du malheur qui est arrivé à votre régiment. Ce sont ces mêmes Anglais que je vous plaignais d'avoir lorsque je vous vis à Cüstrin, qui vous ont joué ce vilain tour; ce sont en vérité de bien mauvais soldats, et, au demeurant, grands pendards. Adieu, cher ami; aimez-moi toujours, et soyez persuadé de l'estime et de l'amitié avec laquelle je suis tout à vous.
Federic.
Mes compliments à madame de Camas.
183-a La duchesse Charlotte de Brunswic-Wolfenbüttel, qui arriva à Berlin le 17 décembre 1739.
184-a Voyez t. III, p. 165.
184-b Voyez t. XI, p. 11.
184-c Le colonel Adam de Weyher, à Potsdam.