11. A ROLLIN.
Remusberg, 15 octobre 1739.
Monseigneur Rollin,
Je suis étonné de la rapidité étonnante avec laquelle vous travaillez à l'Histoire romaine, dans un âge où le cours ordinaire de la nature nous permet à peine de vivre. Vous instruisez donc encore le public, lors même que vous semblez déjà enjamber l'éternité? Vous nous ferez croire tout ce que l'antiquité a feint du chant harmonieux des cygnes avant leur mort; l'Histoire romaine de M. Rollin me semblera un phénomène plus merveilleux que tout ce que la Fable rapporte, et il sera constant que la vivacité de votre composition et l'excellence de vos ouvrages ne se démentiront aucunement malgré le poids des années et le fardeau de l'âge. Il en est ainsi que de ces fleuves qui ne roulent jamais leurs ondes plus fort ni plus rapidement que plus ils s'éloignent de leur source.
<263>J'ai admiré les progrès du jeune Guesclin; j'ignore s'il est parent de ce fameux Bertrand Du Guesclin dont le nom ne périra point, tant que l'on conservera le souvenir de la probité et de la valeur; peut-être que le jeune homme dont vous me parlez fera, avec le temps, autant d'honneur aux lettres que Du Guesclin en fit à l'épée. Il est plus d'un chemin pour arriver à la gloire; la carrière des héros est brillante, à la vérité, mais elle est teinte du sang humain; celle des savants a moins d'éclat, mais elle conduit également à l'immortalité, et il est plus doux d'instruire le genre humain que d'être l'artisan de sa destruction.
263-aJe vous suis d'ailleurs bien obligé de la façon dont vous prenez part à ma satisfaction. Les arts et les sciences établissent une espèce de société dans le monde, et il paraît naturel que tous ceux qui ont le bonheur d'en être devraient participer mutuellement aux bonheurs qui arrivent à leurs membres quelconques, et partager plutôt leur joie que de s'entre-persécuter, comme il n'arrive que trop dans la république des lettres.
Je devais donc m'attendre aux sentiments que vous me témoignez; je vous assure cependant que je n'en suis pas moins reconnaissant, et que je regrette beaucoup de renfermer en moi ce qui pourrait vous en être un témoignage, étant avec bien de l'estime,
Monsieur Rollin,
Votre très-affectionné
Federic.
263-a Ces deux derniers alinéa sont remplacés, dans l'édition des Œuvres posthumes de Berlin, 1788, t. XII, p. 67 et 68, par le passage suivant :
« Il n'est point extraordinaire que vous, qui m'avez instruit tant de temps, preniez part à ce qui m'arrive, et que vous participiez à ma satisfaction; c'est ce que je devais attendre de vos sentiments. Je n'en suis cependant pas moins reconnaissant, et je regrette de renfermer en moi ce qui pourrait vous en être un témoignage, vous assurant que je suis avec bien de l'estime
Votre affectionné, etc. »