10. A M. DE SUHM.
Ruppin, 14 avril 1736.
Mon cher Diaphane,
Comment pourrai-je assez vous remercier de toutes les peines que vous vous donnez pour l'amour de moi? Je vous assure que j'en suis reconnaissant autant qu'on peut l'être. Me voilà donc à la fin parvenu, par vos soins, jusqu'à cet être simple ou indivisible. Je suis charmé de la force du raisonnement de Wolff; et à présent que je commence à me styler sur sa manière de raisonner, j'en découvre la force et la beauté.
Sans blesser votre modestie et sans léser la vérité, je puis vous assurer que j'ai trouvé votre traduction excellente, car j'avoue que la curiosité que j'ai eue de voir l'original allemand de la Métaphysique de Wolff me l'a fait comparer avec ce que vous avez eu la bonté de m'en traduire; mais je ne trouve en aucun endroit qu'il ait perdu en passant par vos mains. J'avoue que vous pouvez me persuader (vous en avez le don) que la langue allemande a ses beautés et son énergie; mais vous ne me persuaderez jamais qu'elle soit aussi agréable que la française. Et quand même vous en viendriez à bout, j'aurais toujours une raison bien forte et suffisante, à mon avis, pour vous faire comprendre que je lis l'ouvrage de Wolff plus volontiers en français; c'est que la traduction est toujours accompagnée de vos lettres, et que je suis charmé quand je vois quelque production d'un esprit que j'aime et que j'estime également. Oui, mon cher Suhm, sans vous faire un mauvais compliment, je vous assure que je trouve tant de charmes dans votre esprit et dans votre entretien, que si désormais vous alliez vous résoudre à ne parler et à n'écrire qu'en chinois, je serais homme à l'apprendre pour profiter de votre conversation, et pour vous faire voir qu'il n'y a pas de langue au monde à laquelle je ne m'appliquasse<285> afin de vous y exprimer avec plus d'énergie tout le cas que je fais de vous, et la véritable estime avec laquelle je suis,
Mon très-cher Diaphane,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Frederic.