13. A M. DE SUHM.
Ruppin, 27 avril 1736.
Mon cher Diaphane,
Je viens de recevoir à la fois deux de vos lettres, qui m'ont fait tout le plaisir du monde. Si le service de Mars ne m'occupait entièrement, j'aurais répondu à chacune à part, et d'un style non laconique : mais je vous assure qu'à peine ai-je le temps de boire et de manger.
Je ne m'attendais assurément pas que le saumon que j'ai envoyé au due de Lorraine lui serait aussi agréable qu'il le lui a été. Je regarde le plaisir qu'il lui a fait comme une marque de l'amitié qu il a<288> pour moi; car l'amitié rend agréables des bagatelles, quand elles viennent de la part des personnes que nous aimons. Le Duc n'aurait pu choisir un organe qui me fût plus agréable que celui de Diaphane, car vous savez combien je vous aime et vous estime; aussi ne devez-vous pas vous étonner du plaisir que j'ai à recevoir de vos nouvelles.
J'étudie Wolff avec une très-grande application, et je me forme de plus en plus à sa manière de raisonner, qui est très-profonde et très-juste. La proposition de la raison suffisante, et celle de la différence des êtres simples et composés, sont, à mon avis, celles qu'il faut le plus s'imprimer quand on veut bien comprendre la suite de sa Métaphysique; et ce sont aussi les deux propositions que je relis tous les jours plus d'une fois, pour les bien imprimer dans la mémoire.
A ce que je vois, l'amour exerce son empire à Lübben comme à Troie, en Sicile, ou à Anet.288-a Quels miracles ne fait-il pas tous les jours! Il n'y a pas jusqu'à Ruppin où il ne fasse sentir son influence; nous en avons des exemples ici, mais le temps ne me permet pas de vous entretenir là-dessus. L'on m'appelle, et j'entends déjà la voix de six cents hommes qui veulent être exercés. Il faut m'y rendre pour les dépêcher le plus vite qu'il me sera possible. Cependant, crainte que notre amitié n'en souffre, permettez-moi de vous assurer auparavant de la parfaite estime avec laquelle je suis,
Mon très-cher Diaphane.
Votre très-affectionné et fidèle ami,
Frederic.
288-a Le château d'Anet, bâti par Henri II pour Diane de Poitiers. Voyez la Henriade, chant IX, v. 109-130.