50. A M. DE SUHM. (No 5.)
Ruppin, 16 mai 1737.
Mon cher Diaphane,
Je suis bien heureux de n'être informé qu'après coup des dangers qui vous menaçaient. Qui pourrait croire qu'une maison pût brûler dans un pays où l'on serait plutôt porté à croire que tout périrait de froid? Je rends grâce à Dieu, mon cher Diaphane, de vous avoir sauvé de ce péril; puisse-t-il être le dernier que vous ayez à courir de votre vie!
Ne croyez pas que je me plaise à la fiction quand je vous mande qu'au mois de février et de mars il a fait beau temps ici. Cela est fort vrai, car nous n'avons point eu d'hiver cette année, point de neige qui ail duré plus d'un jour, et par conséquent les glacières sont très-mal remplies. Le capitaine de Knobelsdorff,354-a qui vient d'Italie, parle<355> bien encore sur un autre ton de ce pays. Il dit qu'il a cherché l'ombre au mois de janvier, sous des lauriers et des peupliers. Je vous plains de tout mon cœur d'être dans un pays si contraire à votre santé. Je l'ai prévu, et j'en crains les funestes suites.
Ce que vous m'écrivez de l'imprimerie de Pétersbourg me plaît beaucoup; je vous remets tout le soin de ma bibliothèque. Je saurai garder un silence nécessaire et requis; vous pouvez bien croire que mon propre intérêt m'y oblige, puisque l'on confisque les livres de contrebande. Ne pourriez-vous pas envoyer mes livres par Stettin, où Rohwedell355-a me les pourrait faire tenir? Je crois qu'on n'y risquerait rien. Je m'en rapporte à ce que je vous ai marqué dans ma dernière, où vous verrez que je vous détaille toutes les raisons de ceux qui me pressent pour que je leur prête des livres.
Nous tirons ici depuis quelque temps plus de poudre que je crois qu'on n'en a tiré à la prise d'Oczakow. Remusberg est abandonné depuis quelque temps, à mon grand regret. Quand les revues seront passées, je m'y recognerai de nouveau. Vous me manquez mille fois, mon cher Diaphane; il me semble que chaque lieue nous sépare d'autant d'années, tant vous me paraissez éloigné. Que le ciel veuille donc nous rapprocher bientôt, et me donner la consolation de vous revoir! Je le désire bien ardemment, étant avec une très-sincère et parfaite estime,
Mon cher Diaphane,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Frederic.
P. S. On vient de m'annoncer qu'un capitaine de Wartenberg,355-b au service de Russie, était arrivé. Je l'ai fait querir d'abord pour lui<356> demander de vos nouvelles. Il semble voir arriver un homme de l'autre monde.
354-a Voyez t. VII, p. 37-42.
355-a Voyez ci-dessus, p. 17.
355-b Hartwig-Charles de Wartenberg (t. III, p. 115, et t. IV, p. 132), après avoir servi dans l'armée russe contre les Polonais, les Tartares et les Turcs, rentra en 1740 dans l'armée prussienne.