95. DE M. DE SUHM.
Pétersbourg, 16 janvier 1740.
Monseigneur
J'ai bien reçu une lettre dont Votre Altesse Royale m'a honoré vers le commencement de décembre, avec un petit problème d'algèbre : mais quelque bonne opinion qu'elle me témoigne avoir de mon habileté dans cette science, cet encouragement n'a pourtant pas encore suffi à m'en faire trouver la solution. J'ai cependant jeté en toute confiance quelques idées sur le papier, qui m'ont paru avoir quelque vraisemblance; mais il faudra les vérifier, et c'est ce qui m'occupe maintenant, et me demandera encore un peu de temps. V. A. R. ne saurait être plus impatiente d'en voir le succès que moi.
En attendant, j'ai reçu une grande consolation en apprenant, monseigneur, que votre santé se fortifie. Fasse le ciel que, ayant si bien commencé cette nouvelle année, vous en commenciez et finis<424>siez une infinité d'autres sous les plus heureux auspices, et que toutes comblent sans cesse tous vos vœux!
J'ai témoigné au duc de Courlande combien V. A. R. a été sensible à son attention, et il a été charmé de voir qu'il a réussi en ce qu'il désirait de vous faire plaisir.
Je suis bien impatient, monseigneur, de recevoir l'ouvrage que V. A. R. me promet pour le printemps prochain. Il est bien naturel que la haute opinion que j'ai une fois conçue de l'auguste auteur me prévienne infiniment en faveur de l'ouvrage; cependant je ferai mon possible pour le lire sans prévention, afin que l'éloge que j'aurai à en faire en soit d'autant moins suspect.
M. le marquis de La Chétardie, qui m'a autant charmé par les bonnes nouvelles qu'il m'a apportées de V. A. R. que par sa propre personne, m'a montré un article d'une lettre du plus aimable prince qu'il connut jamais, m'a-t-il dit. Cet article parlait d'un certain ami relégué à Pétersbourg, et cela, dans les termes les plus propres à pénétrer tout homme sensible, et qui connaît tout le prix d'une telle amitié, des plus vifs sentiments d'amour et de reconnaissance. Je ne chercherai point à vous exprimer, monseigneur, ce qui ne peut être rendu par aucune expression, les tendres et respectueux sentiments de mon âme. Je ne dirai rien de mon émotion, de mes transports, des larmes de joie et d'attendrissement qui ont coulé de mes yeux; je me sens trop faible pour peindre tout cela. Heureusement pour moi que l'aimable et spirituel porteur de cette gracieuse lettre s'est chargé d'en faire un fidèle rapport à V. A. R.
Agréez, monseigneur, etc.