14. DE LA MARQUISE DU CHATELET.
Paris, hôtel de Richelieu, 13 octobre 1739.
Monseigneur,
Je ne veux pas être la dernière à marquer à Votre Altesse Royale combien la préface de la Henriade m'a paru digne du plus singulier éditeur qu'il y ait jamais eu. L'honneur que V. A. R. fait à M. de Voltaire est bien au-dessus du triomphe que l'on avait décerné au Tasse. Son attachement pour V. A. R. en est digne, et sa reconnaissance est proportionnée au bienfait.
Je ne suis pas assez ennemie du genre humain pour tirer V. A. R. du bel ouvrage qu'elle a entrepris d'en réfuter le corrupteur, pour lui faire apprendre quelques vérités de physique. Je vois, monseigneur, que vous encouragerez cette science, mais que vous avez un emploi plus précieux à faire de votre temps que de vous y appliquer. Pourvu que V. A. R. me conserve les mêmes bontés, je plaindrai la physique, mais je ne pourrai m'en plaindre. Je prends la liberté de lui envoyer la traduction italienne du premier chant de la Henriade. Je vais un peu sur les droits de M. de Voltaire; mais il a tant de ces sortes de présents à faire à V. A. R., que j'espère qu'il ne m'enviera pas cette petite occasion de lui faire ma cour. Je fais peu de vers, mais je les aime passionnément, et je crois que vous serez content de la fidélité et de la précision de la traduction que j'ai l'honneur de vous envoyer; l'auteur assure qu'il donnera le reste tout de suite.
Je suis arrivée à Paris dans un temps où tout était en feu et en joie, et j'ai retrouvé cette ville et ses habitants aussi aimables et aussi frivoles que je les avais laissés. Pour la cour, il s'y est fait de grandes révolutions, et il me semble qu'elle est à présent ce qu'elle doit être. Je quitte tout cela, non sans quelques regrets, pour des procès. J'espère que V. A. R. adoucira mon séjour de Bruxelles par les marques