<64>Adieu à Jordan et à sa bibliothèque. J'espère de revoir le premier leste et gai comme un pinson, et l'autre augmentée presque du double.
8. AU MÊME.
Aux haras de Prusse, 10 août 1739.
Mon cher Jordan, vous êtes le plus joli garçon du monde; vous m'envoyez tous les jours des lettres de Voltaire, des pièces nouvelles, et vous m'écrivez des lettres charmantes. Je ne vous renverrai rien pour tant de belles choses, car ce pays, si fécond en chevaux, si bien cultivé, si rempli de monde, ne fournit pas un seul être qui pense. Je vous assure, si je restais longtemps ici, que je perdrais le peu de bon sens que je puis avoir; mais, grâce au ciel, on y a mis ordre, car je pars samedi avant l'astre du jour, et je compte d'être à Berlin mardi, avant que la terre, emportée par son mouvement journalier, ait perdu de vue l'œil du monde.
En vérité, voilà de l'excellent, et je défie madame de Scudéry, Sarasin, Balzac avec Voiture d'avoir fait de plus beau phébus de leur vie. Je travaille actuellement à la préface de la Henriade;a j'espère que vous en serez content. J'ai trouvé un beau champ pour louer; il n'y a que des vérités à dire, et des vérités qui feront plaisir à l'auteur, sans pouvoir blesser la délicatesse du public.
Vous serez mille fois mieux avec Césarion que je ne suis ici; j'aimerais autant mourir que d'y rester. Un certain je ne sais quoi a glacé ma veine. Je ne sais si ce pays n'est pas propre pour penser, ou si le dieu des vers ne l'a jamais regardé d'un œil favorable; mais je
a Voyez t. VIII, p. II—IV, et 51-63; et ci-dessus, p. 33 et 34.