1. DE LA MARQUISE DU CHATELET.
Cirey, 26 août 1738.
Monseigneur,
Je viens de recevoir la galanterie charmante3-a de Votre Altesse Royale, et je m'en sers pour lui en marquer ma reconnaissance. Si vous aviez pu, monseigneur, m'envoyer votre génie, je pourrais me flatter de répondre aux vers dont vous avez accompagné ce joli présent, d'une façon digne de V. A. R.; mais je suis obligée de ne lui envoyer que de vile prose pour toutes les bontés dont elle m'honore. J'ai su par Thieriot que vous désiriez un ouvrage très-imparfait et très-indigne de vous être présenté, que MM. de l'Académie des sciences ont traité avec trop d'indulgence; je prendrai donc la liberté de l'envoyer à V. A. R. Mais le paquet est si gros et le mémoire si long, qu'il me faut un ordre positif de votre part. Je crains bien, quand vous me l'aurez donné, que V. A. R. ne s'en repente, et qu'elle ne perde la bonne opinion dont elle m'honore, et dont je fais assurément plus de cas que des prix de toutes les académies de l'Europe. J'espère que cette lecture engagera V. A. R. à m'éclairer de ses lumières. Je sais, monseigneur, que votre génie s'étend à tout, et je me flatte bien, pour l'honneur de la physique, qu'elle tient un petit coin dans votre immensité. L'étude de la nature est digne d'occuper un loisir que vous devrez un jour au bonheur des hommes, et que vous pouvez employer à présent à leur instruction.
M. de Voltaire est actuellement très-tourmenté de cette maladie dont M. de Keyserlingk a fait récit à V. A. R. : son plus grand chagrin,<4> monseigneur, est de se voir privé par là du plaisir qu'il trouve à vous marquer lui-même son admiration et son attachement. Les lettres dont vous l'honorez augmentent tous les jours l'un et l'autre.
V. A. R. a trouvé deux fautes dans la dernière Épître qu'il vous a envoyée, qui lui avaient échappé dans la chaleur de la composition, et dont je ne m'étais point aperçue en la lisant. Il les a corrigées sur-le-champ, tout malade qu'il est; ainsi, monseigneur, c'est vous qui nous instruisez même dans ce qui concerne une langue qui vous est étrangère, et qui nous est naturelle. Je me flatte que M. Jordan et M. de Keyserlingk seront aussi discrets que V. A. R., et que cette Épître, qui n'a point encore paru en France, ne courra point; c'est encore une obligation que nous aurons à V. A. R. Pour moi, monseigneur, qui vous admire depuis longtemps dans le silence, la plus grande que je puisse vous avoir, c'est de m'avoir procuré l'occasion de vous marquer moi-même les sentiments que les lettres dont vous honorez M. de Voltaire m'ont inspirés pour vous, et avec lesquels je suis, etc.
3-a L'écritoire dont il est fait mention dans la correspondance de Frédéric avec Voltaire, au mois d'août 1738.