120. DE M. JORDAN.
Berlin, 22 avril 1742.
Sire,
Je suis au bout de mon latin, et je ne sais par où commencer la lettre que je dois écrire à V. M.
Je ne sais plus que vous écrire,
Je n'ai pas brin de nouveauté;
Tout est tranquille en la cité,
Où l'on attend la paix pour rire.
Les gazettes nous flattent de la paix. Celle de Cologne plaint le monde de ce que le dévoiement du cardinal, qui continue, pourrait être un obstacle à cette paix, qui marche aussi lentement que le messager du Mans. Je me souviens, à cette occasion, des remarques de Bayle sur le dévoiement de Jules César, où il prouve, à sa façon ordinaire, que V. M. imite si bien, que les plus grands événements sont souvent causés par de pures vétilles. La dispute de la duchesse avec le philosophe, quoique causée par une vétille, n'en est pas moins sé<203>rieuse; on pousse la vengeance jusqu'au point de ne vouloir point manger sur des assiettes d'argent, parce que ce dernier mot réveille des idées de vengeance et de haine qui font manquer l'appétit.
Le marquis soutient tout sans fiel et sans venin;
On a beau s'emporter, rien du tout ne l'étonne.
Son ennemi le frappe au moment qu'il pardonne :
Entre-t-il tant de fiel dans un cœur féminin?
Tout le monde attend avec beaucoup d'impatience le jugement de V. M. sur cet important différend. Pour moi, je ne dis rien, mais je sais bien ce que j'en pense.
On dit ici que les Russes ont pris le parti de la France, cela me fait plaisir; que les Autrichiens ont été étrillés devant Schärding, cela me remplit de joie; que la reine de Hongrie persiste à ne vouloir point céder, cela me fait peur; que le roi d'Angleterre envoie un corps de troupes en Allemagne, que la Hollande suit son exemple, cela me fait frémir. On ajoute que le roi de Pologne a fortement la goutte, qu'il est cependant attendu à Glogau, où le roi de Prusse doit le recevoir pour l'y régaler magnifiquement. Voilà ma gazette, qui me paraît aussi sèche qu'elle est peu intéressante. C'est par cette raison que je me hâte de finir.
J'ai l'honneur d'être, etc.