84. AU COMTE ALGAROTTI.
Potsdam, 25 mars 1753.
J'ai reçu avec plaisir la lettre que vous m'avez écrite. Donnez-moi de temps en temps de vos nouvelles. Parlez-moi des spectacles et des nouveautés que vous remarquerez dans ce pays fertile en génies inventifs. Envoyez-moi la boutargue quand vous pourrez. Je serai toujours charmé de vous donner des marques de ma protection et de ma bienveillance, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
Si vous allez à Herculanum, tâchez, s'il se peut, de m'en apporter quelque bloc de marbre, comme les juifs qui reviennent de la Palestine apportent de la terre où était leur temple à leurs confrères.
85. AU MÊME.
Je vous remercie de la belle musique que vous m'avez envoyée. A l'entendre, j'aurais cru que, depuis Vinci et Hasse, les Huns et les Gépides auraient ravagé la Lombardie, et, en la détruisant, y auraient porté leur goût bizarre et barbare. On pourrait appliquer à vos compositeurs le mot de Waldstörchel : « Tu fais des notes sans faire de la musique. »a Je crains plus que jamais pour votre santé de-
a Frédéric parle ici du Petit prophète de Böhmischbroda, ou Prophétie de Gabriel Joannes Nepomucenus Franciscus de Paula Waldstorch, dit Waldstörchel, natif de Böhmischbroda, etc. C'est une satire que le baron de Grimm publia en 1753 contre les prôneurs de la musique française. Il dit, chap. 19 : « Et ainsi que tes musiciens ont fait des notes jusqu'à ce jour, de même ils feront de la musique qui en soit une. »