<205> que je viens de recevoir. Quelque envie que j'aie d'être digne de la bonne opinion, madame, que vous avez de moi, je m'en sens encore bien éloigné. Mais c'est un aiguillon de plus, qui doit augmenter mes efforts pour mériter votre approbation. J'avoue que la bonté de ma cause ne me rassure pas contre les coups du sort. La plupart des fastes de l'antiquité sont remplis d'histoires d'usurpateurs. On voit partout le crime heureux triompher insolemment de l'innocence; ce qui renverse les empires est l'ouvrage d'un moment, et il ne faut quelquefois, pour qu'ils tombent, qu'une tête mal organisée se dérange dans un instant décisif. Je pourrais ajouter à tout ceci que, en réfléchissant sur les lois primitives du monde, on s'aperçoit qu'un de ces premiers principes est le changement; de là toutes ces révolutions, ces prospérités, ces infortunes et ces différents jeux du hasard qui ramènent sans cesse des scènes nouvelles. Peut-être que le période fatal à la Prusse est arrivé; peut-être verra-t-on une nouvelle monarchie despotique des Césars. Je n'en sais rien. Tout cela est possible; mais je réponds que l'on n'en viendra là qu'après avoir répandu des flots de sang, et que certainement je ne serai pas le spectateur des fers de ma patrie et de l'indigne esclavage des Allemands. Voilà, madame, ma résolution ferme, constante, inviolable. Les intérêts dont il s'agit sont si grands, si nobles, qu'ils animeraient un automate. L'amour de la liberté et la haine de toute tyrannie est si naturelle aux hommes, que, à moins d'être des indignes, ils sacrifient volontiers leur vie pour cette liberté. L'avenir nous est caché par un voile impénétrable. La fortune, si changeante, déserte souvent d'un parti à l'autre; peut-être m'arrivera-t-il, cette campagne, autant de bonheur que j'ai éprouvé d'adversités pendant la dernière. La bataille de Denaina rétablit la France des grandes pertes qu'elle avait faites pendant dix années consécutives d'infortune. Je vois les dangers qui


a Gagnée par le maréchal de Villars le 24 juillet 1712. Voyez t. I, p. 140.