2. A CATHERINE II, IMPÉRATRICE DE RUSSIE.
Potsdam, 26 novembre 1767.
Madame ma sœur,
Je dois commencer par remercier Votre Majesté Impériale de la faveur qu'elle me fait en me communiquant son ouvrage sur les lois. Permettez-moi de vous dire que c'est un commerce qui a peu d'exemples dans le monde, et j'ose dire, madame, que V. M. I. est la première impératrice qui ait fait de tels présents que celui que je viens de recevoir. Les anciens Grecs, qui étaient de bons appréciateurs du mérite, divinisaient les grands hommes, en réservant la première place aux législateurs, qu'ils jugeaient les véritables bienfaiteurs du genre humain. Ils auraient placé V. M. I. entre Lycurgue et Solon. J'ai commencé, madame, par lire l'ouvrage précieux que vous avez daigné composer, et, pour y porter moins de prévention, je l'ai considéré comme s'il partait d'une plume inconnue; et je vous avoue, madame, que j'ai été charmé non seulement du principe d'humanité et de douceur dont partent ces lois, mais encore de l'ordre, de la liaison des idées, de la grande clarté et précision qui règne dans cet ouvrage, et des connaissances immenses qui s'y trouvent répandues. Je me suis mis, madame, dans votre place, et j'ai d'abord compris que chaque pays demande des considérations particulières, qui exigent que le législateur se prête au génie de la nation, de même que le jardinier doit s'accommoder à son terrain pour y faire prospérer ses plantes. Il y a des vues que V. M. I. se contente d'indiquer, et sur lesquelles sa prudence l'empêche d'insister. Enfin, madame, quoique je ne connaisse pas à fond le génie de la nation que vous gouvernez avec tant de gloire, j'en vois assez pour me persuader que, s'ils se gouvernent par vos sages lois, ils seront le peuple le plus heureux du inonde. Et puisque V. M. I. veut savoir tout ce que je pense