90. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 25 novembre 1759.
Sire,
Si la fortune vous persécute, votre fermeté et vos lumières vous mettront au-dessus de ses caprices. L'exemple du passé m'assure de l'avenir, et je ne doute pas un seul instant que vous n'ayez déjà réparé en partie une infortune à laquelle vous n'avez aucune part. Quand on a agi dans les règles les plus exactes, on ne répond point, dans quelque métier que ce soit, des événements, et moins dans celui de la guerre que dans tous les autres. Je comprends combien vous devez souffrir, parce que, quelque courage et quelque génie qu'on ait, on ne peut s'élever au-dessus de l'humanité. Mais les grands hommes comme vous ont toujours vaincu par leur constance ce qui aurait accablé des âmes communes. Il faut que cette campagne finisse; les glaces et les neiges vont ramener la tranquillité pendant quelques mois, et j'espère que le printemps donnera la paix à l'Europe. Quand les Français auront achevé de fondre les vieilles cuillers qu'ils envoient à la monnaie pour avoir de l'argent, feront-ils la guerre avec leurs marmites et leurs casseroles, et payeront-ils en monnaie de cuivre les subsides aux Russes et aux Suédois? Si les Anglais avaient voulu envoyer, l'été passé, une flotte dans la Baltique de quinze vaisseaux, nous aurions actuellement la paix, et, s'ils veulent l'envoyer au commencement du printemps, nous verrons bientôt la fin de la guerre. Le prétexte qu'ils ont pris de leur commerce avec la Russie est ridicule, car les Russes n'auraient osé rompre avec eux; d'où auraient-ils tiré l'or et l'argent que leur fournissent les Anglais pour leur monnaie? Et si les Russes avaient voulu faire les méchants, pas un seul vaisseau n'eût pu arriver à Pétersbourg. J'ai beaucoup de respect pour le roi d'Angleterre; mais il ne fait pas usage des notions