<131>L'erreur, la vanité sur laquelle il se fonde,
Et voit que tout commence, et que tout doit finir.
Ainsi, quoique l'orage gronde,
Le sage dans son cœur garde une paix profonde.
Et, sans redouter l'avenir,
Il l'attend sans le prévenir;
Et, quel que soit de l'infortune
L'effet douloureux et cruel,
Il sait que, par la loi commune,
Mortel, il doit subir le destin d'un mortel.a
Vous voyez, par ces vers, l'impression que m'a faite le prophète dont vous m'annoncez les oracles. S'il ne nous reste que cette ressource, nous sommes perdus. Envoyez-moi bientôt mon Charles XII; je ne vous en aurai pas moins d'obligations. Notre situation est dure et cruelle. Je résiste au torrent de l'infortune autant que mes forces me le permettent; mais, n'en déplaise à la philosophie, le cœur n'en pâtit pas moins.b Quand je m'étourdis sur mes malheurs personnels, ceux de la patrie s'offrent à moi, et ils achèvent d'ébranler ma constance chancelante. Enfin, cher marquis, je n'ai rien de réjouissant à vous dire; lorsque je suis accablé de douleur, je fais des vers pour qu'une application forte me serve de distraction, et me procure des moments d'une sécurité passagère. Je vous souhaite plus de tranquillité à Berlin. Peut-être ne vous reverrai-je jamais; mais je vous aimerai et vous estimerai toujours. Adieu, cher marquis; je vous embrasse.
a Racine dit dans
Phèdre
, acte IV, scène VI :Mortelle, subissez le sort d'une mortelle.
b Voyez ci-dessus, p. 49.