<153> encore dire que je cherche à vous flatter; je vous répondrai que j'aime encore mieux que vous m'accusiez de flatterie que si ma conscience me reprochait le mensonge. Je prends la liberté de dire à V. M. ce que je pense; ma bouche est l'interprète de mon cœur. Vous croyez avoir fait des fautes; moi, je pense au contraire que vous avez réparé celles des autres. J'ai pour moi aujourd'hui la saine partie du public; la postérité décidera dans l'avenir qui de vous ou de moi a raison. Je suis convaincu que V. M. en sera admirée, et qu'elle prendra votre défense contre vous-même. Nous ne finirons jamais, Sire, sur cet article; nous le discuterons un jour à Sans-Souci, après la paix, que nous aurons peut-être plus tôt que vous ne l'espérez. Combien d'événements imprévus ne peuvent pas survenir, qui donneraient à l'Europe cette paix qui lui est si nécessaire, et qu'elle attend avec impatience!
V. M. m'a ordonné de lui écrire toutes les balivernes; en voici une. Votre cuisinier Champion ne vous fera plus des ragoûts ni trop salés, ni trop poivrés. On lui a coupé rasibus ce qui servit au premier homme à peupler le genre humain; il en est mort le troisième jour. On dit dans toute la ville que le chirurgien qui a fait l'opération, et qui est une espèce de fou (c'est un nommé Coste), a mis entre deux assiettes ce qu'il avait coupé, et l'a envoyé à une femme, nommée Le Gras, que Champion entretenait. Cette mauvaise plaisanterie met ici en rumeur toutes les femmes et tous les dévots. Au reste, V. M. perd fort peu à la mort de Champion. Actuellement qu'il n'est plus, je puis en parler naturellement à V. M., sans craindre de lui nuire. C'était un fort mauvais sujet, qui s'était très-mal comporté pendant le temps qu'il y avait à Berlin des officiers français et autrichiens; il les avait pris à l'auberge chez lui, et tenait devant eux, tous les jours, des discours qui auraient mérité qu'il fût à la brouette. On me les avait redits, et je le fis avertir que je le dénoncerais au commandant. Il me promit de se corriger, et je crus qu'il me tiendrait parole; mais j'ai appris, par ceux qui m'ont raconté sa mort, qu'il avait toujours