<259> moments d'inquiétude et d'alarme. A la vérité, les Anglais et les Français commencent à négocier tout de bon; mais vous sentez que c'est un remède lent, qui n'opérera pas aussi vite que nous le désirons. Notre tranquillité dans ces cantons durera encore probablement jusque vers la fin du mois prochain, et alors ce sera à peu près comme la campagne dernière. Je vous y prépare d'avance, pour que vous vous attendiez à peu près aux mêmes événements.
Je n'ai rien appris de Voltaire; je ne sais s'il est à Paris ou à sa seigneurie de Tournay. S'il a eu permission de retourner en France, elle lui aura été accordée sans doute en faveur de l'Épître dédicatoire de Tancrède, adressée à la Pompadour. Tout ce qui le touche ne m'affecte guère, et je suis très-persuadé que, s'il est même réconcilié avec la cour, à la première incartade il sera obligé de décamper de nouveau. Cet homme n'a point de suite dans sa conduite. Je ne lui vois de projet continu que celui d'amasser de l'argent; c'est le seul dont il ne s'écarte jamais, sans scrupule et sans pudeur pour le choix des moyens, et toujours altéré d'une soif insatiable des richesses. Laissons ce misérable se prostituer lui-même par la vénalité de sa plume, par la perfidie de ses intrigues et par la perversité de son cœur, tandis que vous travaillerez tranquillement à votre Amyot, et que vous rendrez un service réel à tous les amateurs des lettres, tandis que je serai ici à m'opposer à la conjuration de toute l'Europe, et tandis que les Anglais et les Français feront leur paix. Je vous rends grâces des faveurs de la fortune que vous me promettez. J'en ai grand besoin; aussi lui ai-je voué une belle statue d'or, si elle ne m'abandonne point cette guerre. Tous les empereurs romains en avaient une, placée dans la chapelle de leurs lares. Je lui dois beaucoup; pourquoi ne lui rendrais-je pas les mêmes honneurs? Adieu, mon cher marquis; écrivez-moi autant que la correspondance demeurera ouverte, et soyez persuadé de mon amitié.