<273> Je vois sans frayeur tout ce qui se prépare, bien résolu de périr ou de sauver ma patrie. Si nous ne sommes pas maîtres des événements, du moins soyons-le de notre âme, et ne déshonorons pas la dignité de notre espèce par un lâche attachement à ce monde, qu'il faut pourtant quitter un jour. Vous me trouvez un peu stoïque, marquis; mais il faut avoir dans son arsenal des armes de toute trempe, pour s'en servir selon l'occasion. Si j'étais avec vous à Sans-Souci, je me livrerais aux agréments de votre conversation; ma philosophie serait plus douce, et mes réflexions moins noires. Dans la tempête, il faut que le pilote et les matelots travaillent; il leur est permis de rire et de se reposer quand ils sont dans le port.
Je vous ai écrit ce que je pense de votre compatriote Gassendi; j'y trouve beaucoup de choses supérieures à son siècle; je n'y condamne que le projet de combiner Jésus-Christ avec Épicure. Gassendi était théologien : ou c'était une suite des préjugés de son éducation, ou c'était la peur de l'inquisition, qui lui firent imaginer ce bizarre concordat; on voit même qu'il n'a pas le courage de justifier le grand Galilée. Bayle a étendu tous les arguments que Gassendi avait énoncés, et il me semble que ce premier l'emporte, en qualité de dialecticien, par sa dextérité à manier les matières, et par la justesse de son esprit à pousser les conséquences des principes plus loin qu'aucun philosophe les ait poussées avant et après lui. Je n'ai point vu cet ouvrage de Gassendi sur Des Cartes dont vous me parlez; je n'ai de ce philosophe que ce que Bernier en a traduit. Je conçois qu'on a un beau champ, s'il s'agit de réfuter les tourbillons, le plein, la matière rameuse et les idées innées. Puissent les projets de campagne de mes ennemis être aussi ridicules que le système de Des Cartes! puissé-je les réfuter aussi facilement à grands arguments, non in bar- bara, mais de facto! J'en reviens toujours à mes moutons, mon cher marquis, et je vous avoue que, malgré tous les bons raisonnements de Gassendi, ce Loudon, cet O'Donnell, et ces gens qui me perse-