70. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 21 août 1759.
Sire,
Je suis au désespoir de n'être pas auprès de vous; mais, puisque vous me l'ordonnez, je m'éloignerai de quelques milles de Berlin. Je vais attendre à Tangermûnde la nouvelle de la victoire que vous remporterez sur vos ennemis. Ce n'est pas la valeur ni la bonne volonté qui a manqué à votre infanterie; mais la chaleur excessive qu'il a fait le jour de la bataille avait épuisé ses forces. La nature n'en a accordé qu'une certaine quantité aux hommes; quelque courageux qu'ils soient, ils ne peuvent cependant s'élever au-dessus de cette même nature. Je suis convaincu qu'ils répareront leur faute à la première occasion, et que vous retrouverez de véritables soldats prussiens. La fortune, pour vous avoir abandonné une seule fois, ne vous a point tourné le dos. Dès que vous voudrez songer à la conservation de votre personne, les choses prendront bientôt une face riante. Je voudrais pour tout au monde être auprès de vous. J'aurais un million de choses à vous dire, et je vous prouverais, malgré votre douleur, que votre perte seule peut entraîner celle de l'État. Vivez, conservez-vous, quelles que soient les affaires; tôt ou tard elles deviendront bonnes. Et quand même, Sire, la perte de la bataille nous aurait amené à Berlin les ennemis, ce qui n'est pourtant pas arrivé, parce que nous aurions payé une contribution, tout aurait-il donc été détruit? Pensez, Sire, que le prince Ferdinand peut, s'il veut, aujourd'hui entrer en Franconie, dévaster cette partie de l'Empire qui nous est contraire, et forcer une partie des Autrichiens à courir vers la Bohême. Vous avez perdu, mais vos ennemis ont encore plus perdu que vous. Je connais votre sensibilité, Sire, et c'est elle que j'appréhende plus que vos ennemis. Il est vrai qu'il est bien fâcheux qu'un