191. AU MÊME.
Bunzelwitz, 24 septembre 1761.
Après un silence de six semaines, une lettre en prose eût été trop peu de chose; j'ai fait un effort, et je vous envoie en vers une relation d'une partie de notre campagne282-a et une gazette poétique282-a qui peut-être vous divertira. Dieu merci, il n'y a presque point eu de sang répandu, et nous sommes tout aussi avancés que nous pouvons l'être, vu les circonstances où nous avons été. L'armée russe doit être à Posen, où elle cherche en vain les magasins que Platen lui a enlevés; elle sera obligée de poursuivre sa marche vers la Vistule, pour ne pas<283> périr de misère. Czernichew s'est joint à Loudon avec huit ou neuf mille hommes, ce qui ne m'embarrasse aucunement. Nous avons encore un mois à remplir, après quoi ma tâche pour cette année sera finie. Voulez-vous bien croire, mon cher marquis, que, jusqu'au moment présent encore, nous sommes sans les moindres nouvelles de ce qui se passe, soit en Poméranie, en Saxe, ou dans la Hesse? Nous apprenons des bruits confus par des déserteurs et les prisonniers des ennemis; ce sont nos seules gazettes. Dans quelques jours la correspondance sera entièrement rétablie. Pour moi, qui ne suis pas fort curieux d'événements, je me trouverais heureux dans mon ignorance, si ce n'était le poste que j'ai à remplir, et les conjonctures hasardeuses où sont les affaires. Je ne vous écris pas cette lettre avec un style libre et une entière effusion de cœur; il me reste encore des scrupules sur l'incertitude du cours des postes. Il vaut mieux attendre; rien ne presse, et, comme je me flatte de pouvoir vous revoir cet hiver, je remets à ce temps-là tout ce que je pourrais vous conter d'anecdotes et de faits singuliers. Cependant vous pouvez vous tranquilliser tout à fait. Nous n'avons rien à appréhender, et notre campagne, vide de grands exploits, mais exempte de grands revers, se finira doucement et paisiblement. Je vous embrasse, mon cher marquis, et je ne manquerai pas de vous écrire quand je croirai le pouvoir faire avec sûreté. Ne m'oubliez pas; adieu.
282-a Voyez, t. XII, p. 185, l'Épître au marquis d'Argens, comme les Russes et Autrichiens bloquaient le camp du Roi, et, p. 190, la Gazette militaire. Voyez aussi t. XIII, p. 209-215.