<10> Cardinal, mais que le Cardinal lui avait escamoté la paix. Chauvelin, encouragé et triomphant de ce que son coup d'essai avait si bien réussi, se flatta de pouvoir devenir le premier dans l'État. Il fallait accabler celui qui l'était : il n'épargna point les calomnies pour noircir ce prélat dans l'esprit de Louis XV; mais ce prince, subordonné au Cardinal, qu'il croyait encore son précepteur, lui rendit compte de tout. Chauvelin fut la victime de son ambition. Sa place fut donnée par le Cardinal à M. Amelot, homme sans génie, auquel le premier ministre se confiait hardiment, parce qu'il n'avait pas les talents d'un homme dangereux.
La longue paix dont la France avait joui, avait interrompu dans son militaire la succession des grands généraux. M. de Villars, qui avait commandé la première campagne en Italie, était mort. MM. de Broglie, de Noailles, de Coigny étaient des hommes médiocres; Maillebois ne les surpassait pas. M. de Noailles était accusé de manquer de cet instinct belliqueux qui se confie en ses propres forces; il trouva un jour une épée pendue à sa porte, avec cette inscription : Point homicide ne seras. Les talents du maréchal de Saxe n'étaient pas encore développés. Le maréchal de Belle-Isle était de tous les militaires celui qui avait le plus séduit le public; on le regardait comme le soutien de la discipline militaire. Son génie était vaste; son esprit, brillant; son courage, audacieux; son métier était sa passion, mais il se livrait sans réserve à son imagination : il faisait les projets, son frère les rédigeait; on appelait le maréchal l'imagination, et son frère, le bon sens.
Depuis la paix de Vienne, la France était l'arbitre de l'Europe. Ses armées avaient triomphé en Italie comme en Allemagne. Son ministre Villeneufve avait conclu la paix de Belgrad : elle tenait la cour de Vienne, celle de Madrid et celle de Stockholm dans une espèce de dépendance. Ses forces militaires consistaient en cent quatre-vingts bataillons, chacun de six cents hommes; deux cent