<128>Malgré toutes ces dispositions, le Roi se trouvait dans un pas scabreux : il avait tout lieu de se défier des Saxons, mais leur mauvaise foi n'était pas assez manifeste. M. de Broglie le tira de cet embarras, en demandant les troupes saxonnes, pour le renforcer, à ce qu'il disait, contre le prince de Lorraine, qui voulait l'attaquer dans le temps que ce prince prenait le chemin de la Moravie avec son armée. Le Roi fit semblant d'ajouter foi au faux avis du maréchal de Broglie, pour se défaire d'alliés suspects. Le départ de la Moravie fut résolu : quinze escadrons et douze bataillons suivirent le Roi en Bohême; vingt-cinq escadrons et dix-neuf bataillons demeurèrent sous les ordres du prince Thierry dans un camp avantageux auprès d'Olmütz, où ce prince aurait pu se soutenir, si le maréchal de Schwerin avait veillé, comme il devait, à amasser suffisamment de vivres pour les troupes. M. de Bülow, qui suivait le Roi en qualité de ministre de Saxe, le voyant sur son départ de la Moravie, lui dit : « Mais, Sire, qui couronnera donc mon maître? » Le Roi lui répondit qu'on ne gagnait les couronnes qu'avec du gros canon, et que c'était la faute des Saxons s'ils en avaient manqué pour prendre Brünn.
Ce prince, bien résolu de ne commander désormais qu'à des troupes dont il pût disposer et qui savaient obéir, poursuivit sa route passant par Zwittau et Leutomischl, et il arriva le 17 d'avril à Chrudim, auprès du prince Léopold, où il mit ses troupes en quartier de rafraîchissement. Les Saxons essuyèrent un petit échec dans cette retraite : les hussards ennemis leur enlevèrent un bataillon qui faisait leur arrière-garde. Vainement voulut-on leur persuader de se joindre aux Français, ils traversèrent les quartiers des Prussiens pour se cantonner dans le cercle de Saatz sur les frontières de leur électoral. Par leur défection, les Français, affaiblis, demeurèrent à Pisek sans secours. Le fardeau de la guerre pesait presque uniquement sur les épaules des Prussiens, et les ennemis puisaient dans l'affaiblissement des alliés les espérances les plus flatteuses de leurs succès.