<89> Le maréchal de Belle-Isle se livrait souvent trop à son imagination; on aurait dit, à l'entendre, que toutes les provinces de la reine de Hongrie étaient à l'encan. Un jour qu'il se trouvait auprès du Roi, ayant un air plus occupé et plus rêveur que d'ordinaire, ce prince lui demanda s'il avait reçu quelque nouvelle désagréable? « Aucune, répondit le maréchal; mais ce qui m'embarrasse, Sire, c'est que je ne sais ce que nous ferons de cette Moravie. » Le Roi lui proposa de la donner à la Saxe, pour attirer par cet appât le roi de Pologne dans la grande alliance : le maréchal trouva l'idée admirable, et l'exécuta dans la suite.

Ce n'était pas à la France seule que se bornaient les négociations des Prussiens; elles s'étendaient en Hollande, en Angleterre et par toute l'Europe. Sur quelques propositions qui avaient été jetées en avant dans une lettre que le Roi avait écrite au roi d'Angleterre, ce prince avait répondu27 que ses engagements l'obligeaient, à la vérité, à soutenir l'indivisibilité de la succession de Charles VI, et qu'il voyait avec peine la rupture de la bonne intelligence entre les Prussiens et les Autrichiens; qu'il offrait cependant volontiers ses bons offices pour moyenner une réconciliation entre ces deux cours : il envoya le lord Hyndford comme ministre d'Angleterre, et le sieur Schwicheldt comme ministre de Hanovre. Ces deux négociateurs étaient, quoiqu'au service du même prince, chargés d'instructions toutes différentes. Le Hanovrien voulait qu'on achetât la neutralité de son maître en lui garantissant les évêchés de Hildesheim, d'Osnabrück et les bailliages qui lui sont hypothéqués dans le Mecklenbourg : on lui donna un contre-projet dans lequel les intérêts de la Prusse étaient mieux ménagés. L'Anglais offrait les bons offices de son maître pour engager la reine de Hongrie à la cession de quelques principautés de la Basse-Silésie : on éluda d'entrer sur ces points dans une négociation formelle, avant d'être préalablement instruit des dispositions où se


27 Le 19 décembre 1740.