18. AU MÊME.
Schönfeld, 25 septembre 1758.
Vous êtes curieux, dites-vous, mon cher mylord, d'apprendre des détails de cette bataillea dont vous me faites des compliments. Comme j'ai été continuellement en mouvement depuis ce temps-là, vous aurez trouvé la relation qui en a été publiée fort sèche. Tout ce que je puis vous en dire, c'est que les Russes n'ont aucuns généraux. Ils ne savent pas faire la guerre avec l'art des peuples policés, d'où vient que le soldat, faisant un faux emploi de sa valeur, est facilement mis en déroute. Notre cavalerie a presque tout fait. L'ennemi a perdu vingt-six mille morts sur la place. Cela paraît prodigieux, mais cela est très-vrai. Nous avons outre cela six généraux, quatre-vingts officiers et passé deux mille hommes de prisonniers. On compte les blessés que les Russes ont traînés avec eux au nombre de neuf mille hommes. Voilà le gros de l'affaire, et ce qui a été le résultat de cette sanglante journée. Depuis, les mouvements du maréchal Daun et de l'armée de l'Empire m'ont obligé d'accourir de ce côté-ci, où j'ai été arrêté jusqu'à présent par les postes de ces gens-là.b L'on dirait que le mont Caucase, ou le pic de Ténériffe, ou les Cordillères ont enfanté les généraux autrichiens; dès qu'ils voient une montagne, ils sont dessus; ils sont amoureux des rochers et des défilés à la folie. Cela rend la guerre pénible et longue, ce qui ne me convient ni l'un ni l'autre. J'aurai encore six semaines à danser sur la corde; dès que l'hiver sera venu, et que vous saurez la fin du spectacle, je vous répondrai plus au long sur tout ce que vous voudrez m'interroger. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse.
a La bataille de Zorndorf.
b Voyez t. IV, p. 236 et 237.