19. AU MÊME.
Ramsen (Rammenau), 4 octobre 1758.
J'ai reçu, mon cher mylord, une de vos lettres, du 10 août. Je mets son retardement sur le compte de tous les contre-temps qu'amène la guerre. Je suis d'autant plus sensible aux marques de votre amitié, que depuis longtemps je suis en butte à la haine de l'Europe entière; c'est le cas d'un homme qui ressent d'autant mieux les agréments de la société, qu'il en a été privé depuis longtemps. Je crois, tout comme vous, que Cartouche, le comte Kaunitz, l'abbé de Bernis, Palmstjerna, etc., etc., etc., ont une âme toute pareille; mais la différence qu'il y a, c'est que la justice pouvait faire rouer Cartouche,a et que nos politiques modernes sont au-dessus de toute juridiction. Ils se tiennent tranquilles dans leurs cours, tandis que leurs satellites jouent les scènes les plus sanglantes. Il faut la patience du bonhomme Job pour supporter tout ceci, et je préférerais la fièvre du pauvre Maupertuisb aux inquiétudes de la vie que je mène, car on voit la fin de l'une, et pas de l'autre. Il est vrai que l'on commence à parler de ces gens qui, au lieu de porter des chapeaux, entortillent leurs têtes de mousseline; mais cela est loin encore. Quoi qu'il en arrive, mon cher mylord, heureux ou malheureux, mort ou vif, vous pouvez compter que, tant que durera mon existence, vous aurez en moi un fidèle ami.
a Voyez t. XIX, p. 418.
b Maupertuis mourut à Bâle le 27 juillet 1759. Voyez t. XVII, p. VIII et IX.