<324>Je passe de votre sauvage philosophe à des sauvages en habit blanc qui ont moins de mœurs que lui, contre lesquels nous nous battons journellement, mais qui cependant, jusqu'à présent, ne nous écrasent pas encore. Nous faisons le siége de Schweidnitz à leur barbe; ils ont voulu s'y opposer, mais la fortune s'est déclarée pour le prince de Bevern et pour nous.a La place est aux abois, la garnison a voulu capituler; ce sont dix mille hommes toujours bons à prendre. Si je les laissais sortir, ils se percheraient sur de si hautes montagnes, que dans dix ans je ne les y prendrais pas; mais avec un peu de patience nous les aurons. Voilà, mon cher mylord, un abrégé de notre campagne, et, je crois, autant qu'il vous en faut pour contenter votre curiosité. Il y a beaucoup d'apparence que cette campagne sera la dernière de cette malheureuse guerre. Je reprends l'espérance de vous revoir encore, et c'est une des idées qui me réjouissent le plus; je ne vous le dissimule point, mon cher mylord, j'aime votre excellent caractère, et je crois retrouver encore en vous une partie de ce que j'ai perdu et que je regrette. Adieu, mon cher mylord. Si Rousseau ne trouve point de philosophe digne de sa confiance, je me flatte au moins que vous comptez sur mon amitié, qui ne se démentira jamais.
42. AU MÊME.
Meissen, 26 novembre 1762.
J'ai reçu, mon cher mylord, votre lettre et celle du philosophe sauvage. Il faut avouer que l'on ne saurait pousser le désintéressement plus loin qu'il le fait; c'est un grand pas à la vertu, si ce n'est la vertu même. Il veut que je fasse la paix; le bonhomme ne sait pas la diffi-
a Le 16 août. Voyez t. V, p. 225.