10. AU MÊME.
Potsdam, 28 février 1748.
Vous m'avez écrit avec tant de sincérité et de franchise, que vous méritez que je ne mette pas moins de vérité dans ma réponse. Convenez donc que, sans vous offenser, on peut vous accuser de n'être pas trop sage. Avez-vous dû penser que j'aie jamais parlé sérieusement sur votre changement de religion, et convient-il, à soixante ans, de s'occuper de projets aussi chimériques et sujets à tant de travaux et d'inconvénients? Car enfin, quand bien même, vous étant de nouveau soumis au joug de Rome,a je serais dans la disposition de vous donner quelques commanderies, le pourrais-je avant qu'il y en eût de vacantes? Tous les commandeurs en Silésie sont plus jeunes que vous, et d'ailleurs pourriez-vous les posséder sans une dispense du grand maître, ou, en suivant les statuts de l'ordre, sans aller courir les caravanes et faire le chevalier novice? Quelle carrière pour un barbon! L'agrément de réussir est-il comparable à la peine de tenter, et pouvez-vous encore oser vous flatter de triompher des obstacles? Détrompez-vous; le ridicule serait peut-être le moindre des chagrins que vous auriez à essuyer. Je n'ai jamais parlé à Rottembourg de vous donner une pension de quatre cents écus, et vous l'aurez sans doute mal entendu. Il n'y en a point de vacante pour les catholiques en Silésie, et, si vous avez eu quelques vues sur la commanderie de Reichenbach, vous pouvez n'y plus songer; j'en ai disposé en faveur du comte de Falkenhayn. Revenez donc à vous-même. Je vous livre à vos réflexions, et vous laisse, sur l'article de la religion, entière-
a Le marquis d'Argens dit dans sa lettre à Frédéric, du 17 avril 1760 : « Si je ne savais que le baron de Pöllnitz est à Magdebourg, je croirais qu'il vous a dévoilé tous les secrets de cette sainte mère Église dans laquelle il est entré pour la troisième fois. » Voyez t. XIX, p. 174. Le baron de Pöllnitz, né calviniste, fit sa première abjuration en 1717.