<100>Césarion, connaissant mon empressement pour tout ce qui vient de vous, m'a envoyé vos deux lettres, se réservant à lui-même de me remettre le reste de vos ouvrages immortels entre les mains. S'il y a quelque chose qui me puisse faire redoubler l'impatience de le revoir, c'est le trésor précieux dont il est le dépositaire.
Vos ouvrages seront conservés comme l'étaient ceux d'Aristote par Alexandre. Ils ne me quitteront jamais, et je compte de posséder en eux une bibliothèque entière. C'est le miel que vous avez tiré des plus belles fleurs, et qui n'a rien perdu en passant par vos mains.
Non, monsieur, tant que vous vivrez, je n'enverrai qu'à Cirey faire la quête des vérités. Je ne troublerai point les glaçons de la Nouvelle-Zemble, ni les déserts arides de l'Éthiopie, pour apprendre des nouvelles de la figure du monde.a Ces découvertes sont certainement louables, et, loin de les blâmer, je les trouve dignes des soins de ceux qui les ont entreprises; mais il me semble que votre façon impartiale et judicieuse d'envisager les choses m'est infiniment plus profitable. J'apprends plus par vos doutes que par tout ce que le divin Aristote, le sage Platon et l'incomparable Des Cartes ont affirmé si légèrement.
En philosophie, ce sont des progrès égaux, ou de se délivrer des préjugés, ou d'acquérir de nouvelles connaissances. L'un éclaire, l'autre instruit. Le plaisir le plus vif qu'un homme raisonnable puisse avoir dans ce monde est, à mon avis, de découvrir de nouvelles vérités. Je m'attendais d'en faire une abondante moisson dans votre Métaphysique; madame du Châtelet m'enlève ce bien, déjà possédé, d'entre les mains de mon ami.
Quel sujet pour une élégie! Cependant il en reste là,Car il avait l'âme trop bonne.b
a Allusion aux voyages dont il a été fait mention t. II, p. 39, t. III, p. 28, et t. XI, p. 57.
b Vers de Scarron, dans le Virgile travesti, liv. I.