<105> J'ai donc enfin reçu, après mille détours, et cette belle lettre, l'ode, et le troisième cahier de la Métaphysique wolffienne. Voilà, encore une fois, de ces bienfaits que les autres rois, ces pauvres hommes qui ne sont que rois, sont incapables de répandre.
Je vous dirai sur cette Métaphysique, un peu longue, un peu trop pleine de choses communes, mais d'ailleurs admirable, très-bien liée et souvent très-profonde, je vous dirai, monseigneur, que je n'entends goutte à l'être simple de Wolff Je me vois transporté tout d'un coup dans un climat dont je ne puis respirer l'air, sur un terrain où je ne puis mettre le pied, chez des gens dont je n'entends point la langue. Si je me flattais d'entendre cette langue, je serais peut-être assez hardi pour disputer contre M. Wolff, en le respectant, s'entend. Je nierais, par exemple, tout net la définition de l'étendue, qui est, selon ce philosophe, la continuité des êtres. L'espace pur est étendu, et n'a pas besoin d'autres êtres pour cela. Si M. Wolff nie l'espace pur, en ce cas nous sommes de deux religions différentes; qu'il reste dans la sienne, et moi dans la mienne. Je suis tolérant, je trouve très-bon qu'on pense autrement que moi; car que tout soit plein ou non, ne m'importe, et moi, je suis tout plein d'estime pour lui.
Je ne peux finir sur les remercîments que je dois à V. A. R. Vous daignez encore me promettre des mémoires sur ce que le Czar a fait pour le bien des hommes; c'est ce qui vous touche le plus, c'est l'exemple que vous devez surpasser, et le thème que je dois écrire. Vous êtes né pour commander à des hommes plus dignes de vous que les sujets du Czar. Vous avez tout ce qui manquait à ce grand homme, et, sur toutes choses, vous avez l'humanité, qu'il avait le malheur de ne pas connaître.
Prince adorable, ma santé est toujours languissante; mais si je souhaite de vivre, c'est pour être témoin de ce que vous ferez. Je désire bien que Lucrèce ait tort, et que mon âme soit immortelle, afin d'entendre vos louanges ou là-haut, ou là-bas, je ne sais où;