<131>Qu'une vie contemplative est différente de ces vies qui ne sont qu'un tissu continuel d'actions! Un homme qui ne s'occupe qu'à penser peut penser bien et s'exprimer mal; mais un homme d'action, quand il s'exprimerait avec toutes les grâces imaginables, ne doit point agir faiblement. C'est une pareille faiblesse qu'on reprochait au roi d'Angleterre Charles II. On disait de ce prince qu'il ne lui était jamais échappé de parole qui ne fût bien placée, et qu'il n'avait jamais fait d'action qu'on pût nommer louable.
Il arrive souvent que ceux qui déclament le plus contre les actions des autres font pire qu'eux lorsqu'ils se trouvent dans les mêmes circonstances. J'ai lieu de craindre que cela ne m'arrive un jour, puisqu'il est plus facile de critiquer que de faire, et de donner des préceptes que de les exécuter. Et, après tout, les hommes sont si sujets à se laisser séduire, soit par la présomption, soit par l'éclat de leur grandeur, ou soit par l'artifice des méchants, que leur religion peut être surprise, quand même ils auraient les intentions les plus intègres et les plus droites.
L'idée avantageuse que vous vous faites de moi ne serait-elle pas fondée sur celles que mon cher Césarion vous en a données? En vérité, on est bien heureux d'avoir un pareil ami. Mais souffrez que je vous détrompe, et que je vous fasse en deux mots mon caractère, afin que vous ne vous y mépreniez plus; à condition toutefois que vous ne m'accuserez pas du défaut qu'avait votre défunt ami Chaulieu, qui parlait toujours de lui-même.a Fiez-vous sur ce que je vais vous dire.
J'ai peu de mérite et peu de savoir; mais j'ai beaucoup de bonne volonté, et un fonds inépuisable d'estime et d'amitié pour les personnes d'une vertu distinguée; et avec cela je suis capable de toute la constance que la vraie amitié exige. J'ai assez de jugement pour vous
a Voyez t. XVII, p. 36.