<161>7o On prétend que Dieu ne nous a pas donné la liberté, parce que, si nous étions des agents, nous serions en cela indépendants de lui; et que ferait Dieu, dit-on, pendant que nous agirions nous-mêmes? Je réponds à cela deux choses : 1o Ce que Dieu fait lorsque les hommes agissent? ce qu'il faisait avant qu'ils fussent, et ce qu'il fera quand ils ne seront plus. 2o Que son pouvoir n'en est pas moins nécessaire à la conservation de ses ouvrages, et que cette communication qu'il nous a faite d'un peu de liberté ne nuit en rien à sa puissance infinie, puisqu'elle-même est un effet de sa puissance infinie.

8o On objecte que nous sommes emportés quelquefois malgré nous, et je réponds : Donc nous sommes quelquefois maîtres de nous. La maladie prouve la santé, et la liberté est la santé de l'âme.a

9o On ajoute que l'assentiment de notre esprit est nécessaire, que la volonté suit cet assentiment; donc, dit-on, on veut et on agit nécessairement. Je réponds qu'en effet on désire nécessairement; mais désir et volonté sont deux choses très-différentes, et si différentes, qu'un homme sage veut et fait souvent ce qu'il ne désire pas. Combattre ses désirs est le plus bel effet de la liberté; et je crois qu'une des grandes sources du malentendu qui est entre les hommes sur cet article vient de ce que l'on confond souvent la volonté et le désir.

10o On objecte que, si nous étions libres, il n'y aurait point de Dieu; je crois, au contraire, que c'est parce qu'il y a un Dieu que nous sommes libres. Car, si tout était nécessaire, si ce monde existait par lui-même, d'une nécessité absolue (ce qui fourmille de contradictions), il est certain qu'en ce cas tout s'opérerait par des mouvements liés nécessairement ensemble; donc il n'y aurait alors aucune liberté; donc sans Dieu point de liberté. Je suis bien surpris des raisonnements échappés, sur cette matière, à l'illustre M. Leibniz.

11o Le plus terrible argument qu'on ait jamais apporté contre notre liberté est l'impossibilité d'accorder avec elle la prescience de


a Voyez ci-dessus, p. 114.