<213> tout philosophe admet la raison suffisante. Elle est fondée sur la vérité la plus évidente de nos actions. Rien ne saurait produire un être, puisque rien n'existe pas. Il faut donc nécessairement que les êtres ou les événements aient une cause de leur être dans ce qui les a précédés; et cette cause, on l'appelle la raison suffisante de leur existence ou de leur naissance. Il n'y a que le vulgaire qui, ne connaissant point de raison suffisante, attribue au hasard les effets dont les causes lui sont inconnues. Le hasard, en ce sens, est le synonyme de rien. C'est un être sorti du cerveau creux des poëtes, et qui, comme ces globules de savon que font les enfants, n'a aucun corps.a
Vous allez boire à présent la lie de mon nectar sur le sujet de la fatalité absolue. Je crains fort que vous n'éprouviez, à l'explication de mon hypothèse, ce qui m'arriva l'autre jour. J'avais lu dans je ne sais quel livre de physique, où il s'agissait du muscle céphalo-pharyngien. Me voilà à consulter Furetièreb pour en trouver l'éclaircissement. Il dit que le muscle céphalo-pharyngien est l'orifice de l'œsophage, nommé pharynx. Ah! pour le coup, dis-je, me voilà devenu bien habile! Les explications sont souvent plus obscures que le texte même. Venons à la mienne.
J'avoue premièrement que les hommes ont un sentiment de liberté; ils ont ce qu'ils appellent la puissance de déterminer leur volonté, d'opérer des mouvements, etc. Si vous appelez ces actes la liberté de l'homme, je conviens avec vous que l'homme est libre. Mais si vous appelez liberté les raisons qui déterminent les résolutions, les causes des mouvements qu'elles opèrent, en un mot, ce qui peut influer sur ces actions, je puis prouver que l'homme n'est point libre.
Mes preuves seront tirées de l'expérience; elles seront tirées des
a Voyez t. XII, p. 64-79, Épître sur le Hasard, et t. XVIII, p. 213.
b Antoine Furetière (mort en 1688), Dictionnaire universel français. Nouvelle édition. A la Haye, 1727, in-folio, article Céphalopharingien.