<214> observations que j'ai faites sur les motifs de mes actions et sur celles des autres.
Je soutiens premièrement que tous les hommes se déterminent par des raisons tant bonnes que mauvaises (ce qui ne fait rien à mon hypothèse); et ces raisons ont pour fondement une certaine idée de bonheur ou de bien-être. D'où vient que, lorsqu'un libraire m'apporte la Henriade et les Épigrammes de Rousseau, d'où vient, dis-je, que je choisis la Henriade? C'est que la Henriade est un ouvrage parfait, et dont mon esprit et mon cœur peuvent tirer un usage excellent, et que les épigrammes ordurières salissent l'imagination. C'est donc l'idée de mon avantage, de mon bien-être, qui porte ma raison à se déterminer en faveur d'un de ces ouvrages préférablement à l'autre. C'est donc l'idée de mon bonheur qui détermine toutes mes actions. C'est donc le ressort dont je dépends, et ce ressort est lié avec un autre, qui est mon tempérament. C'est là précisément la roue avec laquelle le Créateur monte les ressorts de la volonté; et l'homme a la même liberté que le pendule. Il a de certaines vibrations, en un mot, il peut faire des actions, etc., mais toutes asservies à son tempérament, et à sa façon de penser plus ou moins bornée.
Questionnez quel homme il vous plaira sur ce qu'il a fait telle ou telle action; le plus stupide de tous vous alléguera une raison. C'est donc une raison qui le détermine. L'homme agit donc selon une loi, et en conséquence du ton que le Créateur lui a donné.
Voici donc une vérité non moins fondée sur l'expérience. Concluons donc que l'homme porte en soi le mobile qui le détermine, ou qui cause ses résolutions.
Je voudrais, pour l'amour de la fatalité absolue, qu'on n'eût jamais cherché de subterfuge contre la liberté dans de faux raisonnements. Tel est celui que vous combattez très-bien, et que vous détruisez totalement. En effet, rien de moins conséquent, que nous serions des dieux si nous étions libres. Il y a beaucoup de témérité