<324> craignez vos persécuteurs; ce seul article est capable de vous faire des affaires de nouveau; il n'y a rien de plus cruel que d'être soupçonné d'irréligion. On a beau faire tous les efforts imaginables pour sortir de ce blâme, cette accusation dure toujours; j'en parle par expérience, et je m'aperçois qu'il faut être d'une circonspection extrême sur un article dont les sots font un point principal.
Vos vers sont conformes à la raison, ils doivent ainsi l'être à la vérité; et c'est justement pourquoi les idiots et les stupides s'en formaliseront. Ne les communiquez donc point à votre ingrate patrie; traitez-la comme le soleil traite les Lapons. Que la vérité et la beauté de vos productions ne brillent donc que dans un endroit où l'auteur est estimé et vénéré, dans un pays enfin où il est permis de ne point être stupide, où l'on ose penser, et où l'on ose tout dire.
Vous voyez bien que je parle de l'Angleterre. C'est là que j'ai trouvé convenable de faire graver la Henriade. Je ferai l'Avant-propos, que je vous communiquerai avant que de le faire imprimer. Pine composera les tailles-douces, et Knobelsdorff les vignettes. On ne saurait assez honorer cet ouvrage, et on n'en peut assez estimer l'auteur respectable. La postérité m'aura l'obligation de la Henriade gravée, comme nous l'avons à ceux qui nous ont conservé l'Énéide ou les ouvrages de Phidias et de Praxitèle.
Vous voulez donc que mon nom entre dans vos ouvrages. Vous faites comme le prophète Élie, qui, montant au ciel, à ce qu'en dit l'histoire, abandonna son manteau au prophète Élisée.a Vous voulez me faire participer à votre gloire. Mon nom sera comme ces cabanes qui se trouvent placées dans de belles situations; on les fréquente à cause des paysages qui les environnent.
Après avoir parlé de la Henriade et de son auteur, il faudrait s'arrêter, et ne point parler d'autres ouvrages; je dois cependant vous tenir compte de mes occupations.
a II Rois, chap. II, v. 13.