88. DE VOLTAIRE.
Louvain, 30 mai 1739.
Monseigneur, en partant de Bruxelles, j'ai reçu tout ce qui peut flatter mon âme et guérir mon corps, et c'est à V. A. R. que je le dois;
.... Deus nobis haec munera fecit.aVous voulez que je vive, monseigneur; j'ose dire que vous avez quelque raison de ne pas vouloir que le plus tendre de vos admirateurs, le fidèle témoin de ce qui se passe dans votre belle âme, périsse sitôt. La Henriade et moi, nous vous devrons la vie. Je suis bien plus honoré que ne le fut Virgile. Auguste ne fit des vers pour lui qu'après la mort de son poëte, et V. A. R. fait vivre le sien, et daigne honorer la Henriade d'un Avertissement de sa main. Ah! monseigneur, qu'ai-je affaire de la misérable bienveillance d'un cardinal que la fortune a rendu puissant? qu'ai-je besoin des autres hommes? Plût à Dieu que je restasse dans l'ermitage du comte de Loo, où je vais suivre Émilie! Nous arrivâmes avant-hier à Bruxelles. Nous voici en route; je ne commencerai que dans quelques jours à jouir d'un peu de loisir; dès que j'en aurai, je mettrai en ordre de quoi amuser quelques quarts d'heure mon protecteur, tandis qu'il s'occupera à ce bel ouvrage, si digne d'un prince comme lui. S'il daigne écrire contre Machiavel, ce sera Apollon qui écrasera le serpent Python. Vous êtes certainement mon Apollon, monseigneur; vous êtes pour moi le dieu de la médecine et celui des vers; vous êtes encore Bacchus, car V. A. R. daigne envoyer de bon vin à Émilie et à son malade. Ayez donc la bonté d'ordonner, monseigneur, que ce présent de Bacchus soit voituré à l'adresse d'un de ses plus dignes favoris; c'est M. le duc d'Aremberg; tout vin doit lui être adressé, comme tout ouvrage vous doit
a Virgile, Bucoliques, églogue I, v. 6.