<88> pesanteur et les familiariser un peu plus avec les Grâces, je ne désespérerais pas que ma nation ne produisît de grands hommes. Il y a cependant une difficulté qui empêchera toujours que nous ayons de bons livres en notre langue; elle consiste en ce qu'on n'a pas fixé l'usage des mots; et comme l'Allemagne est partagée en une infinité de souverains, il n'y aura jamais moyen de les faire consentir à se soumettre aux décisions d'une académie.
Il ne reste donc plus d'autre ressource à nos savants que d'écrire dans des langues étrangères; et comme il est très-difficile de les posséder à fond, il est fort à craindre que notre littérature ne fasse jamais de fort grands progrès. Il se trouve encore une difficulté qui n'est pas moindre que la première : les princes méprisent généralement les savants; le peu de soin que ces messieurs portent à leur habillement, la poudre du cabinet dont ils sont couverts, et le peu de proportion qu'il y a entre une tête meublée de bons écrits et la cervelle vide de ces seigneurs, font qu'ils se moquent de l'extérieur des savants, tandis que le grand homme leur échappe. Le jugement des princes est trop respecté des courtisans pour qu'ils s'avisent de penser d'une manière différente, et ils se mêlent également de mépriser ceux qui les valent mille fois. O tempora! o mores!
Pour moi, qui ne me sens point fait pour le siècle où nous vivons, je me contente de ne point imiter l'exemple de mes égaux. Je leur prêche sans cesse que le comble de l'ignorance, c'est l'orgueil; et, reconnaissant la supériorité de vous autres grands hommes, je vous crois dignes de mon encens, et vous, monsieur, de toute mon estime; elle vous est entièrement acquise. Regardez-moi comme un ami désintéressé, et dont vous ne devez la connaissance qu'à votre mérite. Je vous écris un pied à l'étrier, et prêt à partir. Je serai de retour dans quinze jours. Je suis à jamais, monsieur, etc.