<105> vous faites de la musique et des vers, et vous écrivez de ces lettres qui donneraient à un bel esprit de France une place distinguée parmi les beaux esprits jaloux de lui.
Je conçois quelque espérance que V. M. raffermira l'Europe comme elle l'a ébranlée, et que mes confrères les humains vous béniront après vous avoir admiré. Mon espoir n'est pas uniquement fondé sur le projet que l'abbé de Saint-Pierre a envoyé à V. M. Je présume qu'elle voit les choses que veut voir le pacificateur trop mal écouté de ce monde, et que le roi philosophe sait parfaitement ce que le philosophe qui n'est pas roi s'efforce en vain de deviner. Je présume encore beaucoup de vos charitables intentions. Mais ce qui me donne une sécurité parfaite, c'est une douzaine de faiseurs et de faiseuses de cabrioles que V. M. fait venir de France dans ses États. On ne danse guère que dans la paix. Il est vrai que vous avez fait payer les violons à quelques puissances voisines; mais c'est pour le bien commun, et pour le vôtre. Vous avez rétabli la dignité et les prérogatives des électeurs. Vous êtes devenu tout d'un coup l'arbitre de l'Allemagne, et, quand vous avez fait un empereur, il ne vous en manque que le titre. Vous avez avec cela cent vingt mille hommes bien faits, bien armés, bien vêtus, bien nourris, bien affectionnés; vous avez gagné des batailles et des villes à leur tête; c'est à vous à danser, Sire. Voiture vous aurait dit que vous avez l'air à la danse; mais je ne suis pas aussi familier que lui avec les grands hommes et avec les rois, et il ne m'appartient pas de jouer aux proverbes avec eux.
Au lieu de douze bons académiciens, vous avez donc, Sire, douze bons danseurs. Cela est plus aisé à trouver, et beaucoup plus gai. On a vu quelquefois des académiciens ennuyer un héros, et des acteurs de l'Opéra le divertir.
Cet Opéra dont V. M. décore Berlin ne l'empêche pas de songer aux belles-lettres. Chez vous un goût ne fait pas tort à l'autre. Il y