<136>honneur-là, il me faut vos écrits dans ma bibliothèque, et ces antiques dans ma galerie.a
Je souhaite que messieurs les Anglais se divertissent aussi bien cet hiver en Flandre que je me propose de passer agréablement mon carnaval à Berlin. J'ai donné le mal épidémique de la guerre à l'Europe, comme une coquette donne certaines faveurs cuisantes à ses galants. J'en suis guéri heureusement, et je considère à présent comme les autres vont se tirer des remèdes par lesquels ils passent. La fortune ballotte le pauvre empereur et la reine de Hongrie; je suis d'avis que la fermeté ou la faiblesse de la France en décidera.
Au moins souvenez-vous que je me suis approprié une certaine autorité sur vous; vous êtes comptable envers moi de vos Siècles,b de l'Histoire générale,c comme les chrétiens le sont de leurs moments envers leur doux Sauveur. Voilà ce que c'est que le commerce des rois, mon cher Voltaire; ils empiètent sur les droits de chacun, ils s'arrogent des prétentions qu'ils ne devraient point avoir. Quoi qu'il en soit, vous m'enverrez votre histoire, trop heureux que vous en réchappiez vous-même; car, si je m'en croyais, il y aurait longtemps que j'aurais fait imprimer un manifeste par lequel j'aurais prouvé que vous m'appartenez, et que j'étais fondé à vous revendiquer, à vous prendre partout où je vous trouverais.
Adieu; portez-vous bien, ne m'oubliez pas, et surtout ne prenez point racine à Paris, sans quoi je suis perdu.
a Voyez t. XVII, p. 247 et 269, et t. XIX, p. 456.
b Voyez t. XVI, p. 170, et t. XXI, p. 206.
c Les premières éditions de l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations étaient intitulées : Essai sur l'histoire générale et sur les mœurs, etc.