<148> il répand un nuage bien sombre sur les belles-lettres; on est au désespoir de voir Boyer à la place des Fénelon et des Bossuet; il est né persécuteur. Je ne sais par quelle fatalité tout moine qui a fait fortune à la cour a toujours été aussi cruel qu'ambitieux. Le premier bénéfice qu'il a eu après la mort du cardinal vaut près de quatre-vingt mille livres de rente; le premier appartement qu'il a eu à Paris est celui de la Reine, et tout le monde s'attend à voir au premier jour sa tête, que V. M. appelle si bien une tête d'âne, ornée d'une calotte rouge apportée de Rome.
Il est vrai que ce n'est pas lui qui a fait Marie Alacoque; mais, Sire, il n'est pas vrai non plus que j'aie écrit à l'auteur de Marie Alacoque la lettre qu'on s'est plu à faire courir sous mon nom; je n'en ai écrit qu'une à l'évêque de Mirepoix, dans laquelle je me suis plaint à lui très-vivement et très-inutilement des calomnies de ses délateurs et de ses espions. Je ne fléchis point le genou devant Baal; et autant que je respecte mon roi, autant je méprise ceux qui, à l'ombre de son autorité, abusent de leur place, et qui ne sont grands que pour faire du mal.
Vous seul, Sire, me consolez de tout ce que je vois, et quand je suis prêt à pleurer sur la décadence des arts, je me dis : Il y a dans l'Europe un monarque qui les aime, qui les cultive, et qui est la gloire de son siècle; je me dis enfin : Je le verrai bientôt, ce monarque charmant, ce roi homme, ce Chaulieu couronné, ce Tacite, ce Xénophon; oui, je veux partir; madame du Châtelet ne pourra m'en empêcher; je quitterai Minerve pour Apollon. Vous êtes, Sire, ma plus grande passion, et il faut bien se contenter dans la vie.
Rien de plus inutile que mon très-profond respect, etc.