<204> plaisant cadavre à transporter à Potsdam, et à passer à travers vos gardes! Je vais me tapir à Paris, au coin du feu. Le Roi mon maître a la bonté de me dispenser de tout service. Si je me raccommode un peu cet hiver, il serait bien doux de venir me mettre à vos pieds, dans le commencement de l'été; ce serait pour moi un rajeunissement. Mais dois-je l'espérer? Il me reste un souffle de vie, et ce souffle est à vous. Mais je voudrais venir à Berlin avec M. de Séchelles, que V. M. connaît; elle en croirait peut-être plus un intendant d'armée, qui parle gras, et qui m'a rendu le service de faire arrêter, à Bruxelles, la nommée Desvignes, laquelle était encore saisie de tous les papiers qu'elle avait volés à madame du Châtelet, et dont elle avait déjà fait marché avec les coquins de libraires d'Amsterdam. V. M. pourrait très-aisément s'en informer. Je vous avoue, Sire, que j'ai été très-affligé que vous ayez soupçonné que j'eusse pu rien déguiser. Mais si les libraires d'Amsterdam sont des fripons à pendre, le grand Frédéric, après tout, doit-il être fâché qu'on sache, dans la postérité, qu'il m'honorait de ses bontés? Pour moi, Sire, je voudrais n'avoir jamais rien fait imprimer; je voudrais n'avoir écrit que pour vous, avoir passé tous mes jours à votre cour, et passer encore le reste de ma vie à vous admirer de près. J'ai l'ait une très-grande sottise de cultiver les lettres pour le public. Il faut mettre cela au rang des vanités dangereuses dont vous parlez si bien; et, en vérité, tout est vanité, hors de passer ses jours auprès d'un homme tel que vous.
Faites comme il vous plaira, mais mon admiration, mon très-profond respect, mon tendre attachement, ne finiront qu'avec ma vie.