<241>croit-on, dis-je, que Bartenstein ou Bestusheff s'exprimât d'une manière peu correcte? Si on laisse faire l'Académie, elle appauvrira notre langue, et je propose à V. M. de l'enrichir. Il n'y a que le génie qui soit assez riche pour faire de telles entreprises. Le purisme est toujours pauvre.
Madame du Châtelet n'est point encore accouchée; elle a plus de peine à mettre au monde un enfant qu'un livre. Tous nos accouchements, Sire, à nous autres poëtes, sont plus difficiles à mesure que nous voulons faire de bonne besogne. Les vers didactiques surtout se font beaucoup plus difficilement que les autres. Belle matière à dissertation quand je serai à vos pieds!
Mais voici un autre cas; il s'agit ici de prose.
V. M. se souvient d'un certain Antimachiavel, dont on a fait une vingtaine d'éditions. Une de ces éditions est tombée entre les mains du roi à la cour de qui on accouche. Il y a deux endroitsa où l'on rend une justice un peu sévère au roi de Suède, et où le monarque dont j'ai l'honneur de vous parler est traité un peu légèrement. Il y est infiniment sensible, et d'autant plus qu'il sent bien que le coup part d'une main trop respectable, et faite pour peser les hommes. Vous vous en tirerez, Sire, comme vous voudrez, parce que les héros ont toujours beau jeu. Mais moi, qui ne suis qu'un pauvre diable, j'essuie tout l'orage; et l'orage a été assez fort.
Autre affaire. Il a plu à mon cher Isaac Onis,b fort aimable chambellan de V. M., et que j'aime de tout mon cœur, d'imprimer que j'étais très-mal dans votre cour. Je ne sais pas trop sur quoi fondé, mais la chose est moulée, et je le pardonne de tout mon cœur à un homme que je regarde comme le meilleur enfant du monde. Mais, Sire, si le maître de la chapelle du pape avait imprimé que je ne suis pas bien auprès du pape, je demanderais des agnus et des bénédictions
a Chapitres III et VIII. Voyez t. VIII, p. 78, 79 et 97.
b Le marquis d'Argens. Voyez t. XIX, p. 443.