<255>rent, et de vous dire ingénument ce que je pense de votre tragédie. Quelque détour que vous preniez pour cacher le nœud de Sémiramis, ce n'en est pas moins l'ombre de Ninus : c'est cette ombre qui inspire des remords dévorants à sa veuve parricide; c'est l'ombre qui permet galamment à sa veuve de convoler en secondes noces; l'ombre fait entendre du fond de son tombeau une voix gémissante à son fils; il fait mieux, il vient en personne effrayer le conseil de la Reine et atterrer la ville de Babylone; il arme enfin son fils du poignard dont Ninias assassine sa mère. Il est si vrai que défunt Ninus fait le nœud de votre tragédie, que, sans les rêves et les apparitions différentes de cette âme errante, la pièce ne pourrait pas se jouer. Si j'avais un rôle à choisir dans cette tragédie, je prendrais celui du revenant : il y fait tout. Voilà ce que vous dit la critique; l'admiration ajoute avec la même sincérité que les caractères sont soutenus à merveille, que la vérité parle par vos acteurs, que l'enchaînure des scènes est faite avec un grand art. Sémiramis inspire une terreur mêlée de pitié; le féroce et artificieux Assur, mis en opposition avec le fier et généreux Ninias, forme un contraste admirable; on déteste le premier, aussi ne lui arrive-t-il aucune catastrophe dans l'action, parce qu'elle n'aurait produit aucun effet; on s'intéresse à Ninias, mais on est étonné de la façon dont il tue sa mère; c'est le moment où il faut se faire la plus forte illusion; on est un peu fâché contre Azéma qu'elle porte des paquets, et que ses quiproquo soient la cause de la catastrophe. Toute la pièce est versifiée avec force; les vers me paraissent de la plus belle harmonie, et dignes de l'auteur de la Henriade. J'aime mieux cependant lire cette tragédie que de la voir représenter, parce que le spectre me paraîtrait risible, et que cela serait contraire au devoir que je me suis proposé de remplir exactement, de pleurer à la tragédie et de rire à la comédie.
Du temps de Plaute et d'Euripide,
Le parterre morigéné