<59> quand elle en aura le loisir. Cela seul suffit pour mettre sa gloire en sûreté, en cas qu'il y ait quelque chose dans ces éditions qui déplaise à S. M. L'ouvrage est déjà si généralement goûté, que V. M. ne peut que se rendre encore plus respectable en corrigeant ce que j'ai gâté, et en fortifiant ce que j'ai affaibli. Puissé-je être aussi fripon qu'un jésuite, aussi gueux qu'un chimiste, aussi sot qu'un capucin, si j'ai rien en vue que votre gloire! Sire, je vous ai érigé un autel dans mon cœur; je suis sensible à votre réputation comme vous-même. Je me nourris de l'encens que les connaisseurs vous donnent; je n'ai plus d'amour-propre que par rapport à vous.
Lisez, Sire, cette lettre que je reçois de M. le cardinal de Fleury. Trente particuliers m'en écrivent de pareilles; l'Europe retentit de vos louanges. Je peux jurer à V. M. que, excepté le malheureux écrivain de petites nouvelles, il n'y a personne qui ne sache que je suis incapable d'avoir fait un tel ouvrage de politique, et qui ne connaisse ce que peut votre singulier génie.
Mais, Sire, quelque grand génie qu'on puisse être, on ne peut écrire ni en vers ni en prose, sans consulter quelqu'un qui nous aime.
Au reste, que la lettre de M. le cardinal de Fleury ne vous étonne pas, Sire; il m'a toujours écrit avec quelque air d'amitié. Si j'étais mal avec lui, c'est que je croyais avoir sujet d'être mécontent de lui, et je n'avais pu plier mon caractère à lui faire ma cour. Il n'y a jamais que le cœur qui me conduise.
V. M. verra, par sa lettre en original, que, quand j'ai fait tenir l'Antimachiavel à ce ministre comme à tant d'autres, je me suis bien donné de garde de désigner V. M. pour l'auteur de cet admirable livre.
Je vous supplie, Sire, de juger ma conduite dans cette affaire par la scrupuleuse attention que j'ai eue à ne jamais donner à personne copie des vers dont V. M. m'a honoré; j'ose dire que je suis le seul dans ce cas.